Par Néjib OUERGHI Un Etat défaillant se définit par son incapacité à assurer ses missions essentielles en termes de sécurité, de paix et de bien-être. Un tel cas de figure pourrait le mener au risque de la dérive dont le pendant est la recrudescence de la violence sociale et l'accroissement de la menace terroriste. Dans la situation actuelle que connaît la Tunisie, de nombreux signes laissent apparaître bien des dysfonctionnements. En témoignent les difficultés accrues rencontrées pour endiguer la violence et l'insécurité omniprésentes, l'incapacité à répondre à une demande sociale insistante et les pas hésitants en matière de promotion d'un développement équitable et harmonieux. A l'évidence, la résurgence de l'hydre terroriste est un indicateur inquiétant. Il vient chaque fois nous rappeler qu'on est face à un ennemi invisible et déterminé à saper les fondements de l'ordre social. Le ras-le-bol exprimé vendredi à la caserne d'El Aouina par un certain nombre d'agents de la Garde nationale, lors de la cérémonie d'hommage funèbre aux martyrs tombés sous les balles des terroristes à Goubellat (gouvernorat de Béja), en est un autre signe d'une grande gravité. Face à une situation très difficile et d'une extrême complexité, la guerre au terrorisme et l'assurance de la sécurité du pays sont loin d'être une sinécure. Elles présupposent la satisfaction de nombreux préalables, au premier rang desquels se trouve la capacité de tous les protagonistes politiques à mettre un terme aux sources profondes qui sont à l'origine de l'accentuation de leurs divisions et de leurs antagonismes. Dans un tel climat délétère et en l'absence de confiance et de vision, tous les efforts en matière de lutte contre le terrorisme risquent d'être vains, voire improductifs. Ne dit-on pas que le terrorisme prolifère et se renforce dans la division et l'insécurité. Sa réapparition, les menaces qu'il fait peser sur l'unité du pays et sa stabilité trouvent leur explication la plus plausible dans une longue crise politique qui a secoué le pays depuis l'assassinat, en juillet dernier, du constituant Mohamed Brahmi. L'impasse politique a précipité le pays dans des contractions douloureuses et des luttes idéologiques improductives dont les effets sont, d'ores et déjà, perceptibles sur les plans sécuritaire, économique et social. Sans chercher à justifier ou à incriminer les protestations des agents de la Garde nationale, qui ont contraint les trois présidents à quitter la caserne d'El Aouina, le plus important consiste, plutôt, à tirer les vrais enseignements du coup de colère d'un corps censé consacrer la discipline, le respect et le maintien de la sécurité des citoyens et du pays. Sans verser, également, dans l'excès qui consiste à voir uniquement cet incident, aussi grave soit-il, sous l'angle d'une tentative d'insubordination, il importe, peut-être, d'entendre cet incident comme un cri de détresse d'un corps rongé par le doute et la peur et qui a besoin de repères et d'un appui pour qu'il retrouve confiance et vigueur dans sa mission. En effet, face à la nébuleuse terroriste qui frappe aux portes de nos grandes villes, la sagesse commande de ne pas déstabiliser ce corps par des problèmes collatéraux, qui peuvent altérer son moral et sa vigilance, d'éloigner cette institution du jeu politique et de lui accorder les moyens nécessaires pour qu'elle s'acquitte au mieux de sa tâche. La sécurité et la stabilité du pays n'ont pas de prix. Il revient à tout le monde de consentir les sacrifices nécessaires afin d'éloigner les dangers qui guettent le pays et de restaurer la confiance, facteur décisif pour permettre à la Tunisie de rebondir et de dépasser ce cap difficile. Paradoxalement, il a fallu que le pays affronte cette nouvelle épreuve difficile et consente de nouveaux sacrifices, pour forcer les politiques à trouver des convergences utiles afin de débloquer un dialogue qui a rencontré, en dépit de toutes les bonnes intentions exprimées dès le départ, un terrain miné. L'annonce, vendredi soir, par le Quartet du démarrage effectif du dialogue national le 23 octobre prochain et de l'aplanissement des difficultés constitue un motif d'espérance. Les engagements pris par les uns et les autres ne devraient pas être transformés en déceptions que le pays payera, cette fois-ci, au prix fort de son unité, de sa stabilité et de sa sécurité. On n'a plus de temps à perdre, parce que tout simplement, on est en train de jouer, depuis des mois, le temps additionnel.