Par Nejib OUERGHI La confiance est une construction, à la fois, difficile et complexe. Une fois entamée, elle demande patience, sacrifices et, surtout, une grande sagesse afin que ceux qui l'ont subitement perdue espèrent la recouvrer rapidement. Il en est ainsi de la sécurité dans notre pays qui, par la combinaison de plusieurs facteurs parfois obscurs, commence à nous manquer cruellement. Les derniers événements survenus sur les hauteurs du mont Chaâmbi (Kasserine) nous ont renseignés sur la toute fragilité de notre pays, de plus en plus exposé aux menaces de groupes terroristes qui ont fait leur apprentissage des armes en Afghanistan, Libye, Syrie, Mali et ailleurs. Des djihadistes porteurs d'une idéologie haineuse, d'un projet obscurantiste, qui s'emploient à saper les fondements de l'ordre social dans le pays. Depuis de longs mois, notre pays vit au rythme des paradoxes. En effet, chaque fois qu'un espoir de consensus national, sur une question d'intérêt, est à portée de main, la résurgence du spectre de la violence politique et du terrorisme vient doucher nos ambitions et nous rappeler une dure réalité : la transition de la Tunisie vers la démocratie se présente comme un processus jalonné de menaces et d'incertitudes. Par on ne sait quel artifice, manœuvres ou calcul, l'élaboration de la Loi fondamentale, le choix du régime politique, d'une loi électorale et la mise en place des instances constitutionnelles deviennent des dossiers de deuxième ordre. Face aux périls persistants, on se trouve, chaque fois, confrontés à des arbitrages difficiles. Faut-il donner la priorité à la sécurité du pays, condition essentielle pour organiser des élections libres et transparentes dans un climat de concorde, ou plutôt faire fi de tous les périls et menaces et poursuivre le processus engagé ? Il est un fait réel, le citoyen ordinaire, inquiet et en proie au doute, semble se désintéresser, momentanément, du jeu politique. L'éradication du terrorisme et de la violence reprend les devants et accaparent l'attention, beaucoup plus que toute autre chose. Résultat : tous les regards sont braqués, aujourd'hui, sur la traque menée par les forces de sécurité et les unités de l'armée contre les terroristes au mont Chaâmbi, pour la deuxième semaine de suite. En même temps, de nombreuses interrogations continuent à fuser de partout. Elles concernent la capacité du pays à faire face à cet hydre, la possibilité de voir tous les acteurs politiques parvenir à un consensus ou un pacte sur la lutte contre le terrorisme qui menace l'unité du pays, sa stabilité et son développement. Des interrogations sur la propension des forces politiques nationales de transcender leurs différences et leurs dissensions et d'agir de concert pour prévenir tout basculement du pays dans une violence aveugle. Des interrogations, enfin, sur les raisons profondes qui ont conduit le pays en un laps de temps très court à perdre toute initiative en matière de gestion de crises et de prévention de risques sécuritaires. Cela laisse entendre que les nombreuses alertes survenues au courant de 2012 à Bir Ali Ben Klifa, Hidra et la découverte de caches d'armes n'avaient pas été prises au sérieux, ou presque. Le laxisme qui a entouré la gestion de ces affaires a, en quelque sorte, encouragé ces groupes dont la grande mobilité et l'organisation, loin d'éveiller les soupçons, les poussent à aller de l'avant et à recourir aux armes pour tenter de changer les fondements du modèle sociétal tunisien. La dérive observée par le débat public a été un catalyseur de cette menace. Au lieu de focaliser l'attention sur les sujets et les questions qui suscitent convergences et accords, il a fini par scinder les Tunisiens en deux camps rivaux: laïcs contre salafistes. La montée de ces derniers groupes et leur activisme débordant, dans l'impunité, ont été le terreau sur lequel ont germé les grains de la discorde et de la terreur qu'ils n'ont eu de cesse de vouloir installer dans le pays. A l'évidence, l'éradication de cette nébuleuse qui menace le pays, sa population et son unité, exige une conscience aiguë, un engagement ferme et effectif, qui supporte mal les simples déclarations d'intention, de tous les acteurs politiques pour la défense de l'Etat civil et démocratique. La mise en place d'une stratégie qui rassemble tous les Tunisiens, qui unit leurs forces et bannit les divisions est la seule voie à même d'éloigner de nous ce spectre qui n'en finit pas de hanter nos esprits et de bloquer toute perspective de démocratisation et de développement du pays. Un peu plus de deux ans après la révolution du 14 janvier 2011, la Tunisie ne supporterait pas de basculer dans un cycle infernal de violence qui hypothéquerait durablement les espoirs de son peuple, les promesses de l'émergence d'une démocratie véritable et le développement d'un pays qui possède tous les atouts pour réussir. Si maintenant le processus politique se trouve quelque peu grippé, l'économie du pays en difficultés sérieuses, les attentes sociales quelque peu déçues et l'image du pays gravement altérée, une lueur d'espoir persiste. Elle réside dans la ténacité des Tunisiens et leur hargne à défendre et la sécurité du pays, et son unité et son modèle de société. Cette hargne est peut-être l'argument qui permet de dire que malgré la gravité de la menace qui continue à peser sur le pays et l'ampleur des difficultés qui persistent, le terrorisme n'a pas d'avenir en Tunisie, qui a été de tout temps un pays d'ouverture et de tolérance.