Par Abdelkrim HIZAOUI * On est dans la dernière ligne droite de notre chemin laborieux vers la deuxième Constitution de la Tunisie indépendante. Des avancées majeures ont été réalisées au niveau du chapitre consacré aux droits et aux libertés et il est bien tard de lancer de nouvelles idées dans un débat déjà bien chronophage. Mais en passant en revue le texte adopté le 1er juin 2013, plus précisément les dispositions relatives aux droits et libertés de l'information, on fait une bien inquiétante découverte : le droit du citoyen à l'information n'est pas mentionné et aucune obligation n'est inscrite à la charge de l'Etat pour qu'il procure les conditions nécessaires à son exercice. Réunis en urgence jeudi dernier, à l'appel de la Coalition civile de défense de la liberté d'expression et d'Article 19, les représentants des organisations nationales et internationales et les experts concernés ont adopté quelques recommandations adressées à nos constituants. Parmi elles, la proposition d'ajouter la phrase suivante au début de l'article 30 consacré à la liberté d'expression et d'information : « Le droit à l'information est garanti ». Nul besoin de nous lancer dans un long plaidoyer pour appuyer cette proposition, il nous suffit de réaffirmer que le droit à l'information est un droit principal duquel découlent des droits dérivés qui sont inscrits dans l'actuel projet de constitution tels que le droit d'accès à l'information ou des mécanismes tels que la Haica (régulation de l'audiovisuel). Inscrire le droit à l'information dans le corps de la constitution permettra en outre d'aligner notre texte fondamental sur les normes en vigueur dans les pays démocratiques et inscrira à la charge de l'Etat une obligation positive, celle de développer les médias, au lieu de se limiter à l'obligation négative de s'abstenir à censurer l'expression. En donnant une base constitutionnelle à notre droit à l'information, nous mettrons fin au déni de gouvernement observé depuis deux ans et obtiendrons que des textes législatifs et réglementaires soient adoptés pour combler un vide juridique porteur qui a permis à de bien mauvaises pratiques de s'installer durablement dans notre paysage médiatique. Voici, à titre d'exemples, les domaines pour lesquels une réglementation, donc une action de l'Etat, est nécessaire : La carte professionnelle des journalistes, octroyée par une commission paritaire dont on attend la création depuis la parution du décret-loi 115 en novembre 2011 ; Le Conseil de la presse, organe d'autorégulation de la presse écrite et électronique, qui n'aurait de crédibilité et d'impact que s'il dispose de prérogatives conférées par la loi; La loi d'orientation de l'audiovisuel, étant donné que le décret-loi 116 est quasi exclusivement dédié à la Haica; La loi sur la publicité (régie par un texte préhistorique datant de 1971); La loi relative à l'aide de l'Etat à la presse, qui peut inclure les conditions et critères de répartition des annonces publicitaires des organismes publics auprès des journaux, voire des médias audiovisuels. Sans être exhaustive, cette liste nous permet de donner la mesure des chantiers qui attendent les prochains gouvernements en matière de garantie de notre droit à l'information, la pierre angulaire de nos autres droits et libertés. Après l'Etat censeur et corrupteur, puisse le nouvel Etat issu de cette constitution être un Etat régulateur et protecteur de notre droit à l'information. Puissent nos constituants prendre acte des recommandations de la société civile et des experts pour la version finale de notre nouvelle constitution. * (Enseignant à l'IPSI, directeur du CAPJC)