Alors que les députés dissidents réclament purement et simplement la suppression des amendements, les représentants de la majorité proposent des solutions intermédiaires Les présidents des groupes parlementaires se sont rencontrés jeudi après-midi au siège de l'Assemblée. La volonté affichée de part et d'autre est de trouver une issue à ce nouveau blocage qui paralyse les travaux constitutionnels, après le retrait spectaculaire des élus de l'opposition, au beau milieu d'une plénière, lundi dernier. L'idée est de trouver un terrain d'entente autour des controversés amendements touchant certains articles du règlement intérieur. Des amendements qui ont été au départ revendiqués par l'opposition, ensuite rejetés, parce que dévoyés de leur but initial. Seul l'article 106 devait être retouché, dans le but précis d'alléger le fonctionnement de l'Assemblée, et d'être en phase avec les recommandations de la feuille de route. Or à l'instigation de la Commission du règlement intérieur et de l'immunité, dont le président est Haythem Ben Belgacem du CPR, ce sont aussi les articles 36 et 79 qui ont été également changés. En lieu et place d'accélérer le processus constitutionnel, c'est la marge de manœuvre de l'opposition qui se trouve quasiment annihilée. Non au marchandage ! Aucune issue n'a pu être trouvée lors de la réunion des chefs. Lorsque les députés dissidents représentés tour à tour par Mohamed El Hamdi et Fadhel Moussa réclamaient purement et simplement la suppression des amendements. Les représentants de la majorité, hormis le parti Ettakatol, qui s'est retiré lui aussi, proposaient des solutions intermédiaires : au lieu de trois membres pouvant tenir une séance du bureau de l'ANC, ce serait quatre ! «C'est du marchandage, déclare à La Presse Selma Baccar, que nous rejetons net ». « D'ailleurs, enchaîne l'élue du parti Al Massar, nous avons tenu une réunion avec le secrétaire général de l'Ugtt. Les deux processus sont bloqués, gouvernemental et constitutif. Tant que le Dialogue national n'a pas repris et les amendements ne seront pas annulés, nous continuons à suspendre notre participation, tout en restant mobilisés à l'intérieur du Bardo» a-t-elle prévenu. Parallèlement, à cette fronde parlementaire s'ajoute la grogne du parti Ettakatol. Le rôle du président de l'ANC est carrément neutralisé en faveur d'une suprématie numérique, habilitée désormais à tenir une séance du bureau, ainsi qu'à convoquer une plénière. De quoi faire sortir le très consensuel Mustpaha Ben Jaâfar, double président de l'ANC et d'Ettakatol, de ses gonds. Mais, tout en contestant les amendements de la majorité, son groupe de référence, ce troisième parti de la Troïka au pouvoir, ne se rallie pas tout à fait à l'opposition. Une situation mi-figue mi-raisin où l'on cultive la prudence, mais qui l'isole un peu des regroupements. « Nous contestons cette volonté de mainmise sur le bureau de l'ANC, déclare clairement Lobna Jeribi à notre journal, et prônons une large représentativité. Quant aux amendements, il ne faut peut-être pas les supprimer, mais les reporter ». L'élue du parti Ettakatol a toutefois préféré revenir à son groupe parlementaire, avant de préciser la ligne adoptée par son parti. Le malaise de l'opposition Ce n'est pas la première fois que l'opposition est habilement amenée à revendiquer un retour à l'état initial, qui ne lui était pas favorable, mais représente toujours un moindre mal. Affaiblie par son poids réel, et, conséquemment, par une capacité d'influence quasi nulle sur les événements politiques décisifs, la minorité ne peut que réellement contester et critiquer, c'est ce qu'elle sait faire de mieux. Les choses étant ce qu'elles sont, que peut-on lui reprocher ? Avec la meilleure des alliances, tous les partis de l'opposition réunis n'égalent pas, en termes de voix, Ennahdha seul. Toutefois, si le verdict des urnes du 23 octobre 2011 a été défavorable aux partis de l'opposition du fait de leur éparpillement, de leur manque de préparation et de moyens, les bonnes leçons ne semblent pas, depuis, avoir été tirées. Au lieu de s'unir pour constituer un bloc soudé et avancer ensemble pour assurer un semblant d'équilibre de l'échiquier politique, l'opposition continue à s'éparpiller, à se donner en spectacle, et, pourquoi pas, à se tirer dans les pattes. Combien de fois Ennahdha, par une manipulation que Machiavel aurait trouvée magistrale, soustrait un des groupes qui comptent dans l'opposition pour négocier avec lui en aparté et lui promettre, sans doute, monts et merveilles. L'Alliance démocratique, Al Joumhouri, Nida Tounès, tous sont passés par là. Les dirigeants de ces partis, ne s'en cachent pas d'ailleurs. Du coup, leurs postures changent à l'égard du parti au pouvoir. Les discours, de virulents, deviennent plus conciliants, laborieusement argumentatifs; pour revenir ensuite à l'animosité première, si les promesses ne sont pas tenues. Ce qui est généralement le cas. Entre-temps, le parti au pouvoir a changé son fusil d'épaule, et son allié par la même occasion. D'où les ratages, les tergiversations de l'opposition. Le fait de ne pas proposer un seul candidat au poste de Premier ministre et le défendre les coudes serrés, est la faute de trop. In fine, par le biais de ces derniers amendements, le parti au pouvoir et ses associés ont réussi à souder encore une fois les députés de l'opposition. Ils affichent tous un rejet franc et irréversible de ce «coup d'Etat constitutionnel de la majorité », mais pour combien de temps cette fois-ci ? C'est que les partis politiques de l'opposition sont composés de femmes et surtout d'hommes relevant de deux générations ; les 45-55 et les 57-67, à classer également en deux catégories, les ministrables et les présidentiables. Ceux-là sont nombreux, offrent à peu près les mêmes profils et se font mutuellement de l'ombre. Ceux-là sont aussi impatients. Ennahdha ne le sait que trop bien.