Par Abdelhamid Gmati Le Dialogue national est bloqué depuis quelques jours ; on parle même d'échec même si le Quartet initiateur estime qu'il pourra reprendre au début de la semaine prochaine. En attendant, le gouvernement ne démissionnera pas, contrairement à ce qui était prévu par la feuille de route. Du côté de l'Assemblée nationale constituante, les choses ne sont pas meilleures. On apprend que la Commission européenne pour la démocratie par le droit, plus communément appelée Commission de Venise, organe consultatif du Conseil de l'Europe chargé des questions constitutionnelles, vient de rendre public son rapport d'évaluation sur la dernière version du projet de la future Constitution tunisienne. Les onze experts ont analysé la conformité du projet avec les textes fondamentaux du droit international en matière de fonctionnement démocratique, de libertés publiques et d'Etat de droit ; ils ont relevé nombre d'incohérences entre les articles, de décalages entre le préambule et le dispositif et de zones d'ombre d'ordre conceptuel, portant sur divers domaines dont notamment : équilibre et fonctionnement des pouvoirs, cadre d'exercice des cultes, rôle et dimension de l'Etat, mise en œuvre des droits fondamentaux, instances constitutionnelles indépendantes. Nos députés, eux, ne planchent pas sur cette question et s'occupent d'autres choses. Entre autres d'un projet de loi visant à rétablir le régime des « habous », qualifié par l'ex-ministre des Finances, Houcine Dimassi, de « projet permettant la création d'un Etat à l'intérieur de l'Etat ». Et ils se querellent à propos des amendements introduits dans le règlement de l'ANC que certains députés de l'opposition considèrent comme « un coup d'Etat parlementaire », « une manœuvre qui représente une forme d'écartement de la minorité au sein de l'ANC et un renforcement supplémentaire de la majorité ». Concernant l'Isie, le Tribunal administratif a, pour la troisième fois en quelques mois, rejeté le choix des 36 candidats, l'estimant non conforme à la loi. Tous ces blocages proviennent d'une faute originelle. Le constitutionnaliste Iyadh Ben Achour a dénoncé cette faute dès le mois d'août, estimant que «le premier coup d'Etat en Tunisie a déjà eu lieu en décembre 2011 lorsque l'ANC ne s'est pas fixé de durée pour son mandat, alors que les décrets relatifs aux élections de 2011 ont fixé ce mandat à un an, pour une mission bien déterminée : la rédaction de la Constitution. Le premier coup d'Etat et le rejet de la volonté populaire ont eu lieu quand l'ANC a voté la petite constitution et s'est transformée en parlement, contrairement à ce qui était prévu ». Pour lui, l'ANC a outrepassé ses prérogatives et agit en toute illégalité, vu qu'elle s'est auto-arrogé le droit de décréter des lois, sans qu'il n'y ait de contre-pouvoir ou d'organisme vérifiant la constitutionnalité de ses décisions. « Connaissez-vous un parlement au monde où l'on ne contrôle pas la constitutionnalité de ses décisions? Connaissez-vous un parlement au monde qui travaille sans durée déterminée ? Connaissez-vous un parlement au monde qu'on ne peut pas dissoudre par le pouvoir exécutif ? Ce parlement est répressif ! ». La première erreur des partis élus dans cette constituante a été de se diviser en majorité et en opposition. Elus pour rédiger une constitution, les députés se devaient de travailler ensemble, en concertation et en harmonie pour proposer un texte conforme aux objectifs de la Révolution et aux aspirations de leurs électeurs. Au lieu de quoi, ils ont choisi de s'affronter. Les opposants ont commis une seconde erreur : celle d'avoir accepté une petite constitution qui n'avait pas sa raison d'être. A partir de cette « logique », on a assisté à une autre incongruité : celle du ballet, « du mercato » des députés. Elus selon le scrutin de liste et non nominatif, certains se sont arrogé le droit de quitter la formation qui les a fait élire, pour en rejoindre d'autres. Ceux du CPR et d'Ettakatol expliquent que leur parti a dévié de ses principes et valeurs en se coalisant avec le mouvement islamiste ; d'autres justifient leurs comportements parce qu'ils ont découvert que tel ou tel autre parti correspondait mieux à leurs convictions et à leurs aspirations. Ils ajoutent que ce parti offre les meilleures conditions pour s'épanouir et pour mieux servir la patrie, car c'est la finalité de tout travail politique. Le dernier « transfuge » en date, Ibrahim Kassas, a quitté son deuxième parti pour être indépendant. L'opposition s'est attachée au départ du gouvernement ; autre erreur, car le gouvernement n'est que l'appendice de l'ANC. C'est à cette Constituante, source de tous ces blocages, qu'il aurait fallu s'en prendre et exiger son départ, n'étant plus légitime ni légale. Et des trouvailles et des propositions extravagantes, basées essentiellement sur l'exclusion des adversaires ont été faites à profusion. La dernière en date nous vient du député nahdhaoui, transfuge du CPR, Naoufel Ghribi, qui souhaite qu'on classer l'Ugtt comme organisation terroriste. Ni plus ni moins. Nageant dans l'illégalité, la classe politique, responsable de la crise qui perdure, n'a pas de solution pour en sortir. L'actuel président provisoire de la République, Moncef Marzouki, disait, au début de son mandat: « Donnez-moi six mois, si je suis évalué négativement, exigez immédiatement ma démission et je démissionnerai ». Le gourou du mouvement Ennahdha, Rached Ghannouchi, s'engageait aussi : « S'il s'avère qu'Ennahdha, après cette année, n'a pas réussi son exercice à installer la démocratie en Tunisie, les libertés, assurer la sécurité nationale, réaliser l'indépendance de la justice, etc, faites dégager Ennahdha». L'un des membres les plus influents du mouvement islamiste, Habib Ellouze, disait aussi : « Si après une année Ennahdha échoue, vous avez le droit de lui dire : Dégage». Pendant tout l'été, des centaines de milliers de Tunisiens ont manifesté, brandissant des pancartes et hurlant ‘‘Dégage'' » aux gouvernants. En vain. La cacophonie et le marasme persistent.