La fonction publique embauche en moyenne entre 10.000 et 12.000 agents par an. On enregistre actuellement plus de 650.000 agents. Nul doute que le peuple tunisien s'est soulevé pour la liberté et la dignité, parmi tant d'autres. Mais vivre digne, c'est avant tout avoir un travail. Partant de ce constat, la réduction du niveau de chômage doit être placée comme une priorité absolue. La nécessité de trouver une solution à ce défi lourd de menaces pour la stabilité sociale fait l'unanimité, et les autorités en place doivent proposer des actions concrètes pour faire passer les chômeurs d'une situation de marginalisation à une situation d'emploi. Lorsque des individus, qui pourraient constituer une main-d'œuvre efficace en bonne santé et productive, manquent de compétence, de confiance en eux, de réseaux sociaux et d'expérience pour trouver un travail, nous avons là, à l'évidence, un problème important. Dans ce contexte, et pour faire face au chômage et aux différentes revendications inhérentes, le gouvernement en place a lancé une série d'actions pour des recrutements dans la fonction publique. Le gouvernement suit l'opinion générale en faisant croire qu'il est en état de régler le problème du chômage. Le résultat est qu'il va engendrer un marché du travail dual, avec des effets d'éviction importants sur l'emploi privé et des effets douteux sur l'efficacité. Il est illusoire de croire que notre économie, dans sa structure actuelle, permet d'absorber tous les chômeurs. Cette politique est-elle justifiée ? Sinon, quel risque guette le pays ? On peut s'interroger sur le bien-fondé de ces recrutements publics massifs qui engagent le contribuable pour des décennies. Rappelons d'abord quelques chiffres, la fonction publique embauche en moyenne entre 10.000 et 12.000 agents par an. Jusqu'en 2010, on enregistre environ 600.000 agents dans la fonction publique pour une population active occupée d'environ 3,3 millions, c'est-à-dire que plus d'un salarié sur six est fonctionnaire. La situation a empiré durant les trois dernières années. On enregistre actuellement plus de 650.000 agents. Une politique d'action sociale, si elle est souhaitable, ne doit pas être menée en hypothéquant l'avenir. Faire du social en se servant de la fonction publique est, en effet, jouer avec l'avenir du pays. Une politique de recrutement de masse affectera négativement la productivité de notre administration, déjà en mal d'efficacité. A cet égard, de nombreux services publics peuvent être rendus par des entreprises privées. Au lieu de proposer une réforme courageuse de la fonction publique, on continue de l'asphyxier par des fonctionnaires dont elle n'a parfois point besoin. Les fonctionnaires tunisiens coûtent cher pour une efficacité souvent discutable. Il est inutile d'augmenter leur nombre, il faut d'abord mieux les employer. Certains se plaisent à penser qu'un recrutement dans la fonction publique stimulerait la consommation et la demande interne. Mais ne nous y trompons pas. Dans le contexte actuel, une telle augmentation ne produirait aucune stimulation sur la croissance. Nous estimons qu'il est contreproductif de multiplier les emplois publics, car on en supprime autant dans le secteur privé productif tout simplement parce que la règle de soutenabilité à moyen terme du besoin de financement public impose de régler les coûts des nouvelles créations par des recettes fiscales supplémentaires qui détruiront d'autres emplois dans l'économie. Si les entreprises n'en supportent pas intégralement la charge, l'Etat devra assurer le financement de cette mesure en réduisant ses dépenses, en gelant les salaires des fonctionnaires pour plusieurs années ou en augmentant les impôts ou en laissant filer un peu plus le déficit budgétaire. Penser que le recrutement dans la fonction publique permettra de relancer la consommation est une erreur économique de taille, surtout lorsqu'on importe une grande partie des biens consommés. De plus, cette politique aura incontestablement un effet négatif du fait de la hausse de la part des rémunérations dans les dépenses budgétaires. Le total des rémunérations représente en 2013 environ 40% du total des dépenses totales du budget, soit l'équivalent de 12% du PIB. Qu'elle soit dans le secteur public ou bien privé, une politique de recrutement doit toujours reposer sur le critère de compétence et de mérite et non pas sur des critères sociaux. L'Etat doit chercher à recruter des talents et seulement pour ses besoins. Pour cela, il va falloir distinguer les services qui sont en sous-effectif de ceux qui sont en sur-effectif. Le bon sens devrait ouvrir la voie à l'efficacité et à la compétitivité. Chaque ministère doit identifier ses besoins. Ainsi, la question de l'emploi public doit se poser selon deux logiques inter-reliées : celle de la recherche de l'efficience économique et celle de la remise en cause de la fonction traditionnelle de l'Etat. Plus précisément, s'interroger aujourd'hui sur l'emploi public doit conduire à identifier les transformations dans ce domaine engendrées à la fois par ces logiques économiques et par les dynamiques propres de notre pays.