Par Hamma Hanachi Fatalement, tous les titres ont été utilisés, sur-utilisés, un géant de l'histoire, hommage planétaire, une statue, un édifice, de la trempe des saints, un demi-dieu, l'humanité qui perd son grand fils, vie et mort d'un héros. A l'annonce de son décès, toutes les rédactions se sont mises à l'heure de Madiba. Sous l'intitulé Un juste rentre dans l'histoire, France culture lui consacre 24 heures d'antenne non-stop, de 6h00 vendredi 6 décembre, à 6h00 samedi 7 décembre, des témoignages, des documents d'époque, des écrivains invités, des politiciens et des musiciens. Les journaux, les télés rivalisent d'imagination pour viser le titre juste, la photo qui l'accompagne. Mardi 10 décembre. La cérémonie hommage à Nelson Mandela, héros de la lutte contre l'apartheid et artisan de la réconciliation en Afrique du Sud coïncide avec la Journée des droits de l'homme. Des dizaines de milliers de Sud-Africains, une centaine de chefs d'Etat et de gouvernements, des altesses royales, des hommes de religion, des chefs de partis, 1.900 journalistes, trois heures et demie de cérémonie, réunis dans un même lieu, le Soccer City Stadium de Soweto. Du jamais vu. Sur ce chapitre, les commentateurs ont déploré, chacun à sa façon, l'absence du président et du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, ils ont annulé leur participation à cause des frais de voyage, il est vrai que le dernier a été critiqué pour ses coûteuses dépenses personnelles, 700.000 euros pour ses 3 résidences aux frais du contribuable. L'absence d'Israël est un impair pour les uns, politiquement incorrect, répondent les autres. Naturellement, Mahmoud Abbas, qui n'a pas de dépenses pour ses piscines, a fait le déplacement pour assister à la cérémonie de celui qui a toujours été le compagnon de route de la lutte palestinienne et a partagé avec ses pairs le mot réconciliation, clé des solutions. Plus de 90 télévisions du monde, des radios, des centaines de correspondants à Soweto pour couvrir l'événement, des millions sinon des milliards de téléspectateurs. Des cérémonies de cet ordre, avec la même intensité, le même enthousiasme, le même sentiment, il n'y en n'a pas eu beaucoup dans l'histoire, tout le monde est unanime sur ce point. Pierre Haski, écrivain et ex-grand reporter (Libération), aligne sur Bfmtv «Gandhi, Martin Luther King et Mandela», pas davantage. Une cérémonie arc-en-ciel. Obama saluant Raul Castro, les religieux et les laïcs, la droite et la gauche, les rois et les présidents, les anciens colonisateurs et colonisés ensemble, les tenants de la paix et les va-t-en guerre, dans les fanfares blancs et noirs mélangés, les costumes de ville, les boubous, les chapeaux et les turbans. Amour, réconciliation, liberté, pardon. Le poème favori de Mandela déclamé par Obama, des mots qui l'aurait réconforté, les hommages, des citations «Pas de haine, pas de haine, ne jamais renoncer» Mandela. Les Sud -Africains sont arrivés dès minuit, à pied, en transport en commun, à vélo au stade de Soweto pour saluer leur idole. Les pluies battantes n'ont pas refroidi l'ambiance, explosions de joie, des corps qui bougent, des rythmes, des chants et danses, mouvements et cris d'enthousiasme. Contre la pluie, il y a la parade, il y a des parapluies réels et d'autres imagés «Mandela serait content : chez nous en Afrique du Sud, pays de l'arc-en-ciel, celui qui meurt un jour de pluie sera bien accueilli par Dieu». Ban Ki moon, S.G de l'ONU, dans son allocution, pousse sur la métaphore : «Une journée d'arc-en-ciel, l'adjonction de la pluie et du soleil, la pluie de la tristesse et le soleil de la joie». Toujours sur le plateau de Bfmtv, Jean Glavany, ancien ministre et député socialiste français, qui a rencontré Mandela, évoque la force du regard du célèbre défunt. Un regard profond et tendre qui appelle à la fraternité, à ses côtés le chanteur Manu Dibango, militant de longue date pour la liberté, ajoute, «il a inspiré beaucoup d'artistes». Un regard qui va visiter le fond de son interlocuteur. M.O., un ami qui m'a proposé cette chronique, insiste sur les sourires de Mandela, aussi, j'ai passé beaucoup de temps à déchiffrer, à admirer ce sourire dont Madiba ne se départit pas. Un sourire naturel en parfaite adéquation avec l'instant de la photo, en concordance avec le reste des expressions, l'attitude. Une pose, non, une posture, non plus. Exemples de sourires lumineux : avec Winnie Mandela à sa sortie de prison en 1990, avec Frederik De Klerk, partageant le Nobel de la Paix en 1993, Mandela qui danse au Congrès de l'ANC (ne confondez pas) en 1994, en sweat-shirt, avec son numéro d'écrou en 2004, etc. des sourires différents, expressifs, vrais, chauds. Sourires et regards d'enfant en admiration. Admiration. «Mandela devient admirable pour avoir su admirer. (...) Il devient admirable pour avoir, de toute sa force, admiré, et pour avoir fait de son admiration une force, une puissance de combat, intraitable et irréductible. La loi même, la loi au-dessus des lois. Car enfin qu'a-t-il admiré? En un mot : la Loi». Jacques Derrida, philosophe (1930-2004). Regards et sourires captivants, admiration, une séduction naturelle. On lui dira Lala Ngoxolo (repose en paix).