La caméra squatte par la parole un phénomène de société aux multiples formes Après Génération dégage d'Amel Guellaty et Yassin Redissi, la Foundation for the future a projeté, mardi dernier, un deuxième court-métrage qu'elle a produit. Ce dernier est signé Emna Mnif et Lassaâd Ben Abdallah. Leur film est le septième épisode d'une série consacrée à différents thèmes qui concernent le contexte post-révolution tunisien. Le duo a choisi d'intituler cette expérience Mille et un Tunisien raconte en insistant sur le singulier du « raconte » parce que, selon Emna Mnif, chacun raconte, en fin de compte, une Tunisie, la Tunisie où nous vivons tous. Leur œuvre aimerait inviter tout un chacun à se poser des questions sur «comment nous devrions vivre?» «Dans quel projet de société ?» C'est, d'ailleurs, pour cette raison qu'elle a vu le jour, puisque cette série de sept épisodes qui va sûrement s'agrandir est utilisée comme support de formation pour les jeunes sur des thèmes comme la citoyenneté. Avec ces courts-métrages, Emna Mnif et Lassaâd Ben Abdallah vont à la rencontre d'étudiants au sein de leurs universités pour débattre du sujet du film et de ses idées. Ils reviennent souvent avec des histoires marquantes et plus de détermination. Le duo n'est pas dans une veine cinématographique et ne considère pas ces courts-métrages comme des documentaires selon les codes du genre. Emna Mnif et Lassaâd Ben Abdallah penchent plutôt vers l'expérience d'une « caméra citoyenne » et d'un témoignage de l'ici et du maintenant, ou encore d'un recueil de témoignages montés pour pousser à la réflexion. Et réflexion et débat, il y en eut après la projection du septième épisode consacré à la violence dans notre société, sous toutes ses formes, verbale, physique, à l'échelle familiale comme nationale. Mille et un Tunisien raconte : leur violence enchaîne, en une demi-heure, des témoignages réalisés au Kef, à Siliana, à Tabarka, à Kasserine et à Kairouan. Des témoignages à découvert ou sous couvert d'anonymat qui racontent une histoire personnelle, donnent un avis ou analysent les faits sur cette violence que certains trouvent ancrée dans notre éducation, que d'autres justifient par ignorance... Et d'autres et d'autres qui mettent à nu les contradictions de notre société, comme cette jeune femme diplômée au chômage qui déclare les chansons comme un péché, et son père de rétorquer : « Oui, les chansons c'est du péché, sauf Saliha. Saliha c'est halal ! ». A part cette contradiction qui en dit long sur la tragédie de notre société, Emna Mnif a expliqué, pendant le débat, que ce court-métrage a permis de sortir avec l'idée que la violence est un phénomène de société qui a toujours existé mais qui a rejailli à la surface dans le contexte actuel, lequel contexte impose, selon elle, une nouvelle lecture de la société. Elle a ajouté que ces différentes formes de violences ne sont que le revers de la médaille de notre incapacité à écouter l'autre. Il faudrait que l'on s'adonne plus à cet exercice de base du vivre-ensemble et c'est par des initiatives comme celles de Mille et un Tunisien raconte que cela pourra se faire. Le projet a été soutenu par de nombreuses boîtes de production audiovisuelles et c'est peut-être une occasion pour inviter le duo à soigner la forme, ne serait-ce que le cadrage de leurs courts-métrages afin qu'ils aient plus d'impact puisque, dans l'image, ce n'est pas que la parole qui compte. Mais nous avons déjà vu cela, le fait que les gens s'expriment de plus en plus, même si certains ne veulent pas montrer leurs visages. Cette forme d'autocensure qui revient s'accompagne parfois d'une censure au niveau par exemple des foyers universitaires où on ne permet pas souvent de passer de tels témoignages. Le combat est loin d'être fini.