Dans des quartiers abandonnés, l'entraide est le seul moyen pour certains de sortir de l'impasse Sebti, père de famille au chômage, vit à la cité El Mechtel, à quelques kilomètres de l'école de design à Denden. Autour des immeubles de la cité, des poubelles sont disséminées partout, sur le terrain boueux. Des jeunes rasent les murs, tête baissée, capuchons enfoncés. À l'entrée de chez Sebti, une femme aux cheveux ébouriffés guette les étrangers ; Sebti reçoit de la visite. Un homme et une femme viennent lui apporter un four et le matériel nécessaire pour produire du pain. En voyant le four arriver, une voisine les interpelle : «Vous êtes une association ? Venez voir ma maison. Je peux vous l'assurer, vivre en prison est peut-être mieux que de vivre ici dans ces conditions». «Elle a vécu un drame, la pauvre, intervient Sebti. Le fiancé de sa fille, militaire, a été égorgé à Chaâmbi». Les couloirs sont étroits. Devant l'entrée de l'appartement de Sebti, des vêtements étendus sur une corde sèchent à l'ombre contre un mur. Sebti (49 ans), sa femme Hanen (30 ans) et leurs trois enfants en bas âge vivent dans une seule pièce. Yassine, le plus jeune, un an et demi, prend son biberon dans les bras de sa mère et s'amuse à lancer l'ustensile à la moindre occasion. Douaa, deux ans et demi, court partout et se jette sur les matelas qui occupent tout l'espace de la chambre. Mohamed Arbi, lui (7 ans), regarde sagement la télé, allumée en continu. «Ajoute un peu d'eau dans le lait», demande Sebti à sa femme. «Je n'ai qu'un seul paquet de lait», se justifie-t-il. L'homme a le visage creusé et les yeux exorbités. Il y a huit mois, il perdait une de ses deux filles, Ibtihel, à l'âge de 14 ans. Il avait lancé un appel à la radio que ses deux bienfaiteurs avaient entendu, mais c'était trop tard. La fille était morte le jour-même. «Mes enfants meurent de faim. Je les nourris au sucre et à l'eau. Ma fille est décédée à cause de ça. Le médicament était trop fort pour elle», raconte-t-il. «Al Jamaaïya», seule issue de secours Ses trois enfants sont épileptiques et sa femme souffre de troubles psychologiques. Elle n'avait pas de carnet de soin. «Elle faisait une dépression. On l'a aidée pour obtenir un carnet et bénéficier d'une prise en charge à l'hôpital», explique Ines, la psychologue volontaire qui aide la famille. «Je suis allée voir le délégué de la protection de l'enfance. Que des promesses en l'air ! Et je suis allée également à un service du ministère des Affaires sociales à Denden, ça n'a servi à rien», déplore la jeune femme. Dans les escaliers de l'immeuble, des ados, deux garçons et une fille, boivent du vin. Sebti conseille à ses visiteurs de partir. «Voyez dans quel milieu on vit. Aidez mon fils, éloignez-le d'ici», implore Sebti. Il souhaite que Mohamed Arbi vive dans un internat. «Il m'a dit, papa, je ne vais pas à l'école le ventre vide et sans chaussures, raconte le père. Un jour, alors que je le priais d'aller à l'école, il m'a dit : laisse-moi tranquille, ou alors je me suicide ! Je suis désespéré». Hanen et Sebti ne travaillent pas. «J'étais technicien supérieur en électronique. Je suis tombé malade et suis devenu infirme. Le cœur ne va pas bien, ma tête non plus», assure Sebti. Le père de famille a sollicité l'aide des autorités locales, sans succès. «Les gens pauvres n'ont trouvé personne pour les soutenir, sauf «Al Jamaaïya» (société civile, ndlr)», dit-il. «Je ramasse le plastique, mais je ne gagne pas grand-chose avec ça. Je dois à l'épicier 35 DT. Il m'a prévenu qu'il ne me donnerait plus rien à crédit. Lui-même a une famille à nourrir. Je dois aussi de l'argent à la pharmacie. J'évite de passer devant car j'ai honte», confie Sebti. Du pain pour survivre Avec son nouveau four, Sebti pourrait préparer du pain avec sa femme et gagner un peu d'argent. L'homme n'est pourtant pas très optimiste. Pour lui, le moindre effort, nettoyer la maison pour assurer un minimum d'hygiène, est comme une montagne à gravir. «Dieu nous a tout donné, la pauvreté, la misère et la maladie, mais je Lui rends grâce», dit-il en riant. «Hanene m'a dit que si elle ne réussissait pas à cuire le pain dans le four, elle danserait dedans et exploserait avec la maison», dit-il en riant de plus belle. «Si je ne riais pas, mon cœur exploserait. C'est quoi la vie? Attendre que Fathya, la voisine, m'apporte un paquet de lait pour nourrir la famille ?», s'interroge l'homme, les larmes aux yeux. Sebti assure à ses donateurs qu'il fera dès le lendemain la tournée des magasins pour y vendre son pain. En attendant que sa situation s'améliore, ses bienfaiteurs s'engagent à lui régler ses factures d'eau et d'électricité, et à lui payer l'inscription des enfants dans une crèche et un jardin d'enfants.