Par Hmida BEN ROMDHANE Les développements terrifiants qui se déroulent en Irak et en Syrie, avec l'entrée violente en scène de l'Etat islamique en Irak et au Levant (Eiil), semblent rapprocher l'Iran et les Etats-Unis dont les relations n'ont jamais été aussi bonnes qu'aujourd'hui depuis 1979, date de la révolution khomeyniste. Le spectacle affligeant de jeunes sunnites fanatisés à l'extrême, paradant sur leurs pick-up, tenant d'une main le kalachnikov et de l'autre le drapeau noir, inquiète à la fois les Américains et les Iraniens. De l'Afghanistan à la Libye en passant par la Syrie, l'Irak et le Yémen, la violence déchaînée par des dizaines de milliers de jeunes sunnites déterminés à tuer quiconque ne partage pas leurs idées, est en train de provoquer une déstabilisation à grande échelle et de mettre en danger les intérêts de puissances internationales et régionales. Par conséquent, le rapprochement américano-iranien est dans la logique des choses, puisque les deux pays se trouvent face à un ennemi commun. Il est clair que Washington et Téhéran, au grand dam d'Israël et de l'Arabie Saoudite, ont de plus en plus d'intérêts communs et de moins en moins de divergences. Les Iraniens sont connus pour être de fins politiciens, et ils sont en train d'exploiter très intelligemment la tension entre les Etats-Unis et leurs alliés traditionnels (Tel Aviv et Ryadh) dans le but de normaliser leurs relations avec l'ex-grand Satan et d'éloigner ainsi définitivement les dangers d'une guerre destructrice avec la plus grande puissance du monde. Certes, quand les Iraniens évaluent l'histoire de leurs relations avec les Etats-Unis, et en particulier entre 1953 (date du coup d'Etat contre Mosaddeq) et 1979 (date de la révolution islamiste), ils ont des raisons d'être amers. Mais ils ont aussi des raisons d'être satisfaits et de louer la politique américaine en Irak qui, involontairement, a fait un cadeau inestimable à l'Iran en le débarrassant du régime de Saddam Hussein, son plus grand ennemi, et en ouvrant les portes de l'Irak à l'influence iranienne. La politique intelligente des Iraniens et leur coopération efficace avec Washington et Moscou au niveau des dossiers syrien et irakien ont été très payantes. Il se trouve que les deux régimes irakien et syrien, tous deux de fidèles alliés de Téhéran, sont fermement soutenus le premier par les Etats-Unis et le second par la Russie. De l'autre côté, son pire ennemi, le royaume d'Arabie Saoudite est non seulement en train de perdre progressivement les faveurs de Washington, mais est en crise ouverte avec Moscou. En effet, le torchon brûle entre le régime wahhabite des Al Saoud et la Russie. Celle-ci a accusé l'Arabie Saoudite d'être derrière les attentats qui ont frappé Volgograd fin décembre et l'a traitée d'«Etat terroriste». C'est la première fois que ce pays se voit coller une si grave accusation par un pays qui a les moyens de le déstabiliser. D'ailleurs, dans sa réaction au rapport accablant des services de sécurité de la Russie (FSB), accablant pour le régime saoudien, Poutine a affirmé : «Les attentats-suicides de Volgograd sont identiques à ceux qui sont régulièrement commis en Irak, en Syrie et au Liban. Pour identifier les auteurs criminels de ces attentats, nous n'avons pas besoin de davantage de temps et la Russie y répondra très bientôt. Notre réponse sera telle qu'elle changera la carte du Moyen-Orient !» Cette crise aiguë qui a subitement surgi entre l'Arabie Saoudite et la Russie ne peut que remplir d'aise l'Iran qui n'a jamais caché son souhait de voir le trône des Al Saoud renversé, comme l'a été celui du Chah en 1979. Pourquoi, dans cette région en ébullition où la violence n'a jamais été aussi étendue, l'Iran se trouve-t-il, malgré tout, dans une situation confortable, et l'Arabie Saoudite menacée de tous les dangers ? La réponse réside dans la nature de la politique menée par les deux pays. L'Iran est en train de récolter les fruits de sa politique sage et intelligente. L'Iran s'est occupé en premier lieu de ses oignons et a toujours utilisé son argent pour son propre développement. Par contre, l'Arabie Saoudite a remué et remue toujours ciel et terre pour diffuser le wahhabisme dans le monde arabe, en Asie et en Afrique en construisant les mosquées et finançant les écoles coraniques qui s'avèrent des pépinières de terrorisme. Côté iranien, le seul mouvement que Téhéran a financé, le Hezbollah libanais en l'occurrence, n'a rien fait d'autre que résister à l'occupant israélien. Ses dix-huit années de résistance contre Israël au Sud-Liban ont fini par expulser l'occupant la queue entre les jambes. En revanche, tous les mouvements financés par l'Arabie Saoudite n'ont pas tiré une seule balle contre Israël et ne font que s'en prendre à la vie et aux biens des musulmans en Irak, en Syrie, en Afghanistan, au Pakistan, au Yémen et la liste est longue. Al Qaida et ses appendices sont le pur produit du wahhabisme « takfiriste » agressif et violent. Sans le messianisme saoudien, sans les imams wahhabites envoyés un peu partout au Moyen-Orient, en Asie et en Afrique pour diffuser la conception wahhabite de l'islam, sans les chaînes satellitaires obscurantistes financées par l'argent du pétrole, sans le financement généreux à coups de millions de pétrodollars des groupes terroristes qui paradent de l'Afghanistan au Mali, en un mot, sans la politique stupide des Al Saoud, le monde se porterait nettement mieux et l'Arabie Saoudite ne serait pas abhorrée à une échelle quasi universelle.