Par Souad BEN SLIMENE Durant ces trois années de post-révolution, les acteurs culturels n'ont pas baissé les bras. On a beau tenter d'enfermer les artistes et de les diviser, ils arrivent, tant bien que mal, à s'unir pour la bonne cause. Leurs œuvres ne cessent de révéler les conflits, de poser des questions de fond et de prévenir contre toute atteinte à la dignité. L'année 2011 était marquée par la naissance et la restructuration des associations. Ces dernières ont poussé comme des champignons, faisant, parfois même, double emploi, les unes avec les autres. Plus question de jouer cavalier seul était le mot d'ordre. Il faut battre le fer tant qu'il est chaud, pour redonner vie au secteur culturel. On a d'abord commencé par déballer les rancunes, et il s'est avéré qu'il y avait un conflit de générations très sérieux. Les jeunes en voulaient énormément aux anciens. Que leur a-t- on fait pour qu'ils veuillent à ce point couper le cordon ? Ce conflit de générations a quand même fait contagion dans tous les secteurs. Du culturel au médiatique, on ne cesse, encore aujourd'hui, de « détruire pour construire ». Mais selon des observateurs étrangers qui sont passés par là, tout cela est signe de bonne santé. La colère, longtemps refoulée, s'exprime enfin et de différentes manières. C'est pour cela qu'à chaque réunion, la majorité des intervenants se positionnent souvent en plaignants. Les plus sages doivent veiller à ce que le cordon ne soit pas coupé. Car, pour construire l'avenir, il faut savoir se réconcilier avec le passé et ceux qui le représentent. Privilégier l'intérêt général, éviter les détails et jeter sur la situation un regard global, définir les objectifs et les sous objectifs, mettre en place des stratégies à court-moyen et à longs termes, telle était la charte de certaines rencontres importantes qui avaient pour but de résoudre enfin le problème de la politique culturelle. En 2013, des associations, des hommes et femmes de culture indépendants se sont réunis à deux reprises pour débattre du même sujet et établir une feuille de route. Du 20 au 23 juin dernier, le Forum des associations culturelles tunisiennes (Fact) a eu lieu à Hammamet Sud, réunissant une quarantaine d'associations pour proposer une vision culturelle générale en Tunisie, conforme à leurs aspirations intellectuelles et sociales. Le 24 décembre 2013, à Tunis, dans un hôtel de la place, s'est tenue une deuxième rencontre du même genre, organisée par Al Mawred Al Thaqafy, une organisation à but non lucratif qui vise à soutenir la créativité artistique dans la région arabe. Le but était de créer un groupe national de conception de la politique culturelle. Cette période de transition difficile et même pleine de risques doit constituer, paradoxalement, une opportunité pour un changement fondamental législative dans notre pays. Malheureusement, nos décideurs continuent à considérer la culture comme le dernier de leurs soucis. Comment faire pour que les prochains soient convaincus du fait que la culture contribue à dissiper la mauvaise humeur des nations ? (argument développé par Adam Smith, philosophe écossais et pionnier de l'économie politique) ; qu'une vie culturelle riche est nécessaire au déchargement des tensions collectives ? Les festivals et évènements, quand ils ne sont pas détournés au profit d'une propagande politique, sont des rituels modernes qui assurent la cohérence du lien social. Les artistes ont, bien sûr ici, un rôle-clé, comme principaux agents de cohésion. Fini donc les rencontres-défouloirs ! Il est temps de comprendre qu'une absence de politique culturelle est « La politique » des régimes totalitaires. Travailler ensemble, en respectant les différentes visions du monde, voilà ce qu'il faut. Il n'y a que ça qui pourrait nous donner l'espoir de nous en sortir.