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La mort de Socrate, ou comment un humoriste peut-il être à l'origine de l'une des pires injustices de l'histoire
Opinions
Publié dans La Presse de Tunisie le 23 - 01 - 2014


Par Amin BEN KHALED
Athènes, 423 A.-C. Un jeune poète comique est devenu la star montante du moment avec une pièce de théâtre à succès intitulée «Les Nuées». Son nom est sur toutes les lèvres, il symbolise la liberté artistique et l'audace juvénile. Son œuvre résolue et satirique s'attaque à l'establishment politique et aux mœurs de l'époque. Il s'appelle Aristophane et rien ne l'arrête. En cette année-là, tout Athènes parle de lui et de cette comédie qui met en scène un va-nu-pieds babillard qui aborde les jeunes Athéniens dans les rues de la Cité en prenant un malin plaisir à troubler leurs esprits avec des raisonnements pédantesques et pervers,le tout dans un contexte d'agitation sociale dû à un régime politique aux abois et une guerre contre Sparte qui n'en finit pas. Il faut dire qu'Aristophane excelle dans l'art de la parodie en représentant un fanfaron (une sorte de Mr. Bean de l'époque) circulant dans une nacelle, entre ciel et terre, pour mieux observer les astres tout en s'interrogeant sur la relation exacte qui existerait entre la longueur des pattes des puces et la portée de leur saut. La satire fait rire la foule, amuse des Athéniens déprimés par les guerres et la crise économique et s'achève, comble de l'ironie, sur un appel au meurtre de ce personnage bizarre qui, avec ses sottises, pervertit les jeunes et se moque des Dieux. Sous un tonnerre d'applaudissements d'une plèbe totalement hilare et conquise, Aristophane vient de s'attaquer à Socrate et sans le savoir, sa comédie sera à l'origine de l'une des pires injustices de l'histoire...
Athènes, début mars 399 A.-C. Un quart de siècle plus tard, la pièce est devenue désormais un grand classique dans la «théâtrocratie» athénienne, car le théâtre dans cette Cité grecque constitue un véritable pouvoir qui pèse sur les décisions politiques et judiciaires. A part quelques disciples dévoués, Socrate est considéré depuis longtemps comme un personnage excentrique, pis encore, comme un dangereux fouteur de troubles pouvant porter atteinte à un ordre social fragile miné par une lutte intestine entre les divers clans politiques et par une situation extérieure des plus périlleuses. Dans ce contexte, une plainte est déposée contre un Socrate septuagénaire par certains accusateurs opportunistes,parmi les quels figure un poète de circonstance assoiffé de gloire nommé Mélètos. L'acte d'accusation est le suivant : « Socrate est coupable de corrompre la jeunesse ; de ne pas croire aux Dieux auxquels croit l'Etat ; et de croire à des Divinités nouvelles », crimes passibles de la peine de mort. Crimes qui sont d'autant plus impardonnables dans une société athénienne de plus en plus réactionnaire, recherchant la gloire d'antan et qui par-dessus tout trouve du mal à digérer la défaite humiliante contre Sparte survenue cinq ans plus tôt.
Socrate comparaît devant un tribunal. Il refuse de se faire défendre par Lysias, pourtant l'un des tribuns les plus célèbres d'Athènes. Il choisit de plaider lui-même. Il est seul face à un jury composé de 501 juges athéniens, qui ont décidément du mal de se défaire de l'image qu'ils ont de lui depuis le succès de la pièce d'Aristophane. Plus grave, à l'époque de la mise en scène, la plupart de ces juges étant encore en bas-âge, n'avaient pas le droit d'assister au théâtre et par conséquent leur intime conviction se trouve le jour du procès imprégnée par cette légende urbaine pittoresque et nauséabonde qui circule depuis vingt-cinq ans, à savoir celle d'un Socrate dangereux qui ose remettre en cause l'ordre établi.
La plaidoirie est rapportée par Platon dans son Apologie de Socrate. Socrate commence tout d'abord par dire qu'il ne connaît pas le jargon des tribunaux, qu'il évitera toute rhétorique et qu'il se contentera de dire la vérité de la manière la plus spontanée possible. L'accusé se trouve ainsi dans une situation qui lui est tout à fait nouvelle : il n'est plus dans une logique de dialogue face à un interlocuteur dans laquelle la vérité est à atteindre, mais il est dans un procès, face à un tribunal et il devra réfuter des accusations précises susceptibles de se transformer, à l'issue du jugement, en un verdict judicaire.
Ce qui frappe dans la plaidoirie de Socrate, c'est sa simplicité au travers un plan de défense des plus élémentaires faisant fi de toutes les règles conventionnelles de la rhétorique de l'époque. Cherche-t-il à jouer l'anti-rhéteur en parlant d'une manière dépouillée de tout instrument persuasif, et par là montrer que la vérité réside dans le parler simple ? Une chose est sûre : sa défense est faite en deux temps. Dans un premier temps, il cherche à réfuter les calomnies propagées à son égard depuis longtemps, et dans un second moment, il discute de la récente plainte déposée par Mélètos. La première réfutation est la plus difficile à élaborer, car la comédie d'Aristophane a été intériorisée par l'assistance. Comment lui, Socrate, habitué aux longs dialogues, peut-il en si peu de temps extirper un préjugé qui s'est installé dans l'esprit de ses accusateurs depuis des années ? Socrate se contente de dire qu'Aristophane, et par conséquent les Athéniens, le confondent avec les sophistes, ces chicaneurs qui ne font que cultiver l'esprit de la discorde à travers un enseignement fort rémunéré. Or lui n'a jamais enseigné, et pour cause il est conscient de son ignorance à telle enseigne qu'il se demandait tout au long de son existence pourquoi la prophétesse de Delphes, qui rendait les oracles au nom d'Apollon, l'a désigné comme le plus sage des hommes ; et si la sibylle avait raison, c'est parce que Socrate est conscient de sa propre ignorance. Ainsi, tout ce qu'il a fait, c'est montrer aux jeunes qu'ils étaient ignorants, et que par-là, ils deviendront sages. Il est donc loin des sophistes qui faisaient croire aux jeunes que pour posséder la vérité, il suffisait d'utiliser quelques formules oratoires.
Socrate n'est qu'un ignorant, il le sait et il le montre par sa manière même de plaider.
Socrate s'attaque ensuite à Mélètos dans un contre-interrogatoire. En effet, le système judiciaire athénien de l'époque ne connaissait pas de ministère public au sens moderne du terme, car accusateur et défendeur avaient le droit de se poser des questions mutuellement. Le vieux philosophe ridiculise ainsi l'accusateur en montrant les contradictions logiques de l'acte d'accusation. Les règles de la plaidoirie à Athènes exigeaient du défendeur qu'il fasse en conclusion recours à des supplications pour demander la pitié aux juges. Mais Socrate considère que la vérité n'a pas besoin de ce genre d'artifices pour se faire justice. Au risque de perdre son procès, il a montré jusqu'au bout qu'il n'est pas sophiste et que seul un discours sensé, mesuré et simple pourrait persuader ses juges.
Après ce plaidoyer, les juges allèrent au vote suite auquel Socrate est déclaré coupable avec la majorité des voix. L'usage voulait que l'accusateur proposât la peine la plus lourde et que le défendeur en proposât une moins dure. Le tribunal propose donc la peine de mort. Socrate aurait pu choisir l'exil, ou l'acquittement à condition qu'il renonce à la philosophie, mais il choisit, à la grande stupeur de l'auditoire, d'être nourri aux frais de l'Etat dans le Prytanée, endroit où les citoyens distingués étaient invités à prendre leur repas aux frais de l'Etat comme signe de reconnaissance à leur égard. Décidément Socrate se moque de ses juges, à moins qu'il considère que le fait d'être reconnu par l'Etat comme un citoyen distingué constitue pour lui une lourde peine ...
Evidemment les juges refusèrent une telle proposition excentrique. Le verdict tombe : Socrate est condamné à boire la Cigüe. Il est reconduit en prison. Cependant la peine ne peut être exécutée qu'après la fin de la période du pèlerinage de Délos, soit un mois. Durant ce laps de temps, Criton, un vieil ami de Socrate, l'exhorte de fuir, mais ce dernier refuse. Devant ses amis et disciples, et après avoir pris congé de sa femme Xanthippe et de ses enfants qui voulaient pourtant l'accompagner jusqu'au dernier instant, Socrate parle de l'immortalité de l'âme et décide à la fin de son discours, immortalisé dans Le Phédon de Platon, de boire la Cigüe avec sérénité et flegme légendaires. Il s'allonge et meurt sitôt. Ses dernières volontés étaient une injonction de faire un sacrifice au Dieu guérisseur Esculape.
Etrange testament ! Socrate est-il en train de balbutier à cause du poison ? Plusieurs interprétations ont été avancées. La plus répandue est celle donnée par Nietzsche dans le Gai Savoir : «Ce dernier mot ridicule et terrible signifie pour qui sait entendre : la vie est une maladie !». D'autres voient une allusion au souhait de Socrate de voir Platon, son disciple préféré qui était à l'époque du procès très malade, guérir et prendre ainsi sa relève. Mais on peut entendre dans ces paroles ultimes une dernière leçon socratique : en mourant, Socrate donne naissance à la philosophie et par conséquent il demande à ses disciples de faire un sacrifice pour fêter ce nouveau-né. Le père de la philosophie était obligé d'aller jusqu'au bout de l'accouchement et d'enfanter quitte à mourir.
Voilà que la société athénienne vient de condamner à mort le père de la philosophie à cause d'une satire...
Moralité de l'histoire : l'art satirique est certes libre, mais parfois en s'attaquant avec virulence à certaines figures controversées de la Cité surtout dans un contexte social agité,peut conduire à des injustices irréparables.


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