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Diotime, ou la sagesse au féminin
Figures et concepts
Publié dans La Presse de Tunisie le 23 - 09 - 2011

On a beaucoup épilogué sur le sens et la validité d'un hadith disant que la femme n'était pas aussi douée de raison que l'homme. Et cela, bien sûr, a été mis à la charge de l'Islam, ou de son mode de pensée. Mais les polémiques autour de la place de la femme et de son rang comparée à l'homme ont souvent quelque chose de terriblement réducteur : elles effacent les nuances qui font le charme de toute recherche intellectuelle de la vérité. Il est bien vrai, par exemple, que l'histoire des grands philosophes ne présente guère de figures féminines. On remarquera à ce propos que la philosophie occidentale est à peine plus favorable que la philosophie arabo-musulmane du point de vue de la place faite aux femmes. Nous parlons de la philosophie parce qu'elle représente l'activité rationnelle à son état pur… On cherchera en vain une femme de l'importance de Descartes, Hobbes, Spinoza, Leibniz, Kant ou Hegel en cheminant tout au long de cette galerie de personnages. Il y a bien eu en Occident de grandes figures dans la vie religieuse et même en politique qui ont marqué leur époque, et qui ne manquaient pas de poigne d'ailleurs – que l'on songe à sainte Thérèse d'Avila ou à Elisabeth I d'Angleterre par exemple – mais en philosophie, point ! En sorte que vouloir instaurer la règle de l'égalité parfaite entre hommes et femmes de ce point de vue de l'usage de la raison relève, selon toute vraisemblance, du coup de force et, également, d'un certain mépris de la nuance. Car si la raison n'est pas le fort de la femme, ou de la femme en tant que femme, il n'en est pas de même de la sagesse.
La mention de Diotime, ou plus précisément de Diotime de Mantinée, ne figure que dans un seul texte de Platon, et chez nul autre auteur de cette époque du IVe siècle avant J-C. Mais c'est une figure qui, malgré cela, fut suffisamment marquante pour passer à la postérité et pour que de nombreux auteurs empruntent son nom et le donnent à l'un ou l'autre des personnages de leurs récits. C'est le cas en particulier du poète allemand du XIXe siècle Friedrich Hölderlin qui, dans son texte en prose intitulé Hypérion, fait de son héros Bellarmin l'amant de «Diotima». Mais, à vrai dire, cette Diotima n'a qu'un lointain rapport avec la première Diotime… Un rapport tout de même, puisqu'il est essentiellement question d'amour avec l'une et avec l'autre.
Diotime est une maîtresse de sagesse. C'est comme cela en tout cas que Socrate nous la présente dans le Banquet de Platon. Et Socrate, qui demeure pour toute la tradition philosophique, qu'elle soit d'Occident ou d'Orient, l'initiateur, celui qui a donné la première mesure du mouvement dialectique de la pensée partant hardiment à la recherche de la vérité sans se réclamer d'une quelconque autorité, sans se placer sous quelque tutelle que ce soit, ce Socrate, disons-nous, cet inventeur de la libre raison, en quelque sorte, précise devant tous les convives du banquet la chose suivante : Diotime fut sa maîtresse de sagesse, lui Socrate, en cette matière en tout cas qu'est le thème de l'amour!
Sur la question de l'origine de l'amour, le maître Socrate, dont le tour est venu de parler en cette réunion conviviale, invoque donc Diotime et lui cède la parole. Il parle, mais en recueillant le souvenir de son enseignement : en s'en faisant l'écho devant ses amis. Devons-nous penser qu'il s'agit là d'une sorte de geste de «galanterie», ou d'une faveur accordée en raison de la nature particulière du thème abordé, qui relève du domaine habituellement cher aux femmes, celui de la vie intime ? Nous ne le croyons pas. Pourquoi nous ne le croyons pas ? Parce que, pour commencer, le thème de l'amour déborde largement le cadre de ce qu'on appelle la vie intime et les rapports sexuels. Il est amour du beau, de la belle femme comme de toute belle chose qui suscite en nous le désir d'en être comblés. Ce qui chez Platon peut désigner l'Etre dans son universalité et dans son unité. Le beau prend alors une majuscule : le Beau. Ensuite, et tout simplement, parce que Socrate le précise lui-même : cette femme était savante en «quantité de sujets». Mais d'un savoir qui, tout à l'inverse de celui des sophistes et autres savants dont le souci est de briller en public, suspend la survenue des malheurs dans la vie de l'homme. C'est grâce à elle, à «un sacrifice fait à un certain moment avant la peste», signale en effet le dialogue, que les Athéniens seront épargnés pendant dix années.
Loin donc de toute éristique, de toute utilisation de la pensée à des fins de domination intellectuelle, Diotime incarne la pensée qui conjure le mal et, sans nul doute, qui le guérit aussi. Ce qui explique que, plutôt qu'un exposé raisonné et contraignant sur la question de l'amour et de son origine, elle préfère une histoire pleine de rebondissements et d'humour. Ce qui, à vrai dire, se prête autant à la personne qui parle qu'au sujet dont on parle : peut-on parler d'une chose comme l'amour sans que l'intelligence ne soit prise dans le tendre filet d'un récit, portée ou bercée par lui ? Il y a donc dans sa parole cette dimension qu'on pourrait appeler suggestive, voire invasive, sans laquelle le savoir de la chose ne saurait être que trop intellectuel, trop extérieur finalement.
On ne parle pas d'amour pour mieux le connaître sans se placer d'ores et déjà sous son emprise, sans être en sympathie avec les personnages du récit qui sont censés nous éclairer à son sujet par leurs aventures et mésaventures.
Mais ce savoir qui se laisse pénétrer par son objet est aussi un savoir qui ne se laisse pas prendre une tournure néfaste, une tournure telle que celui qui l'acquiert s'en trouve atteint dans son bonheur. C'est un savoir maternel, pour ainsi dire, sans qu'il faille en conclure, en bons disciples des théories freudiennes, qu'il y ait là quoi que ce soit de morbide. Il convient plutôt de se souvenir ici que le savoir sur l'amour peut facilement prendre une telle tournure malheureuse, qui entraîne son auteur dans le désastre sentimental, dans le piège des déceptions et que, par conséquent, ce type de savoir bienveillant n'est pas en cette matière un luxe, quelque chose de secondaire. Connaître l'amour, c'est savoir le conduire de telle sorte qu'il s'épanouisse : s'il se froisse par notre faute, nous n'en apercevons que l'ombre et ne pouvons donc pas le connaître!
Mais un tel savoir, ou une telle sagesse, par définition ne se publie pas et demeure ainsi dans le secret. C'est son élément naturel pour ainsi dire : il évolue dans la mobilité de la fiction, selon un mode qui est celui de la parole vive et sonore, celui de l'oralité et de son évanescence… Du reste, cette sagesse est tellement cachée qu'on se demande si Diotime elle-même a vraiment existé, si ce n'est pas une invention de l'imagination platonicienne. Mais peu importe en fin de compte : son autorité «maternelle» demeure entière.
La question est toutefois la suivante : pour être dans l'élément du secret, cette sagesse nous autorise-t-elle à en conclure qu'elle existe moins que l'autre, celle qui est vouée à la publication et à la publicité ? Certes non. Ce qui est caché ne relève pas de l'ombre. Ce dont la lumière est douce n'est pas à confondre avec l'absence de lumière, avec l'obscurité. A le méconnaître, à trop suivre la voie des éclats aveuglants, c'est bien ainsi qu'on lâche la proie pour… l'ombre !


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