Bien que le chiffre 7 soit chez nous comme frappé de malédiction, pollué par des années de mensonge politique, on rappellera qu'ils furent au nombre de 7 les sages de la Grèce antique. Platon nous en donne la liste dans un de ses dialogues, le Protagoras : " Au nombre de ces hommes étaient Thalès de Milet, Pittacos de Mytilène, Bias de Priène, notre Solon, Cléobule de Lindos, Myson de Khênè, et le septième d'entre eux, disait-on, Chilon de Lacédémone. " Mais, en vérité, tout le monde ne s'accorde pas sur certains noms, de sorte qu'il existe plusieurs listes, plusieurs " heptades ". Malgré cela, il y a quand même quatre figures qui font l'unanimité en ce qu'elles se retrouvent sur toutes les listes : il s'agit de Thalès, Pittacos, Bias et, comme dit Platon qui parle en citoyen de la Cité d'Athènes, et non sans une note d'affection, " notre Solon ". Il n'est pas inutile de relever cette déférence que Platon avait envers le personnage de Solon, qui est considéré comme l'artisan de la démocratie athénienne, elle-même mère des autres démocraties dans l'histoire mondiale. Oui, car tout connaisseur de Platon sait que le philosophe n'avait pas pour la démocratie une grande estime. Il y voyait un signe de décadence de la cité grecque, d'érosion des valeurs traditionnelles et de perversion des vertus par l'excès de la parole. Pourquoi donc cette faveur envers celui qui est pourtant l'instigateur du modèle démocratique, contre le modèle aristocratique qui sera celui de Spartes ? Sans doute parce que l'acte de création du modèle démocratique athénien s'accomplit sous le signe de la sagesse. Et que la sagesse n'est pas seulement génie politique, elle relève aussi de ce savoir qui consiste à garder vivante la mémoire des limites qui, au sein de toute communauté humaine, séparent l'ordre de la justice de celui de la violence et de l'excès… " Diké " de "Hybris " en grec ! Solon est issu de l'aristocratie athénienne, qui est composée essentiellement des grands propriétaires terriens. Mais il s'essaie au commerce, ce qui est pour lui une occasion de voyages (y compris et en particulier du côté de nos contrées africaines) bien plus que d'enrichissement. Du moins peut-on penser que son penchant avéré pour la poésie l'a prémuni contre la passion excessive du gain… C'est aussi un chef d'armée grâce à qui Athènes a remporté sa guerre contre Mégare et a reconquis l'île de Salamine. Lorsqu'il est appelé à remplir sa fonction d'archonte, de magistrat ayant à décider des affaires de la Cité selon un système tournant en vigueur à cette époque, nous sommes en 594 av. J-C et la situation politique et sociale à Athènes est la suivante: une classe bourgeoise d'armateurs et d'artisans — surtout de potiers — qui, grâce au développement de la monnaie et aux techniques de construction navale, s'est considérablement enrichie par le commerce méditerranéen, mais qui reste exclue du pouvoir politique. D'un autre côté, un petit paysannat qui est livré à la paupérisation et à l'endettement du fait de la concurrence des grandes exploitations agricoles issues de la colonisation de la Sicile et du sud de l'Italie : exploitations dont les produits des récoltes sont déversés sur les marchés des villes grecques à des prix trop bas. Avec ce résultat que, mis dans l'incapacité de rembourser leurs dettes, beaucoup de ces petits paysans sont obligés de se vendre eux-mêmes comme esclaves. La grandeur des réformes de Solon tient en ce qu'elles mêlent en un seul geste, pour ainsi dire, une action d'élargissement de la participation du peuple à la chose publique et, d'un autre côté, une action de lutte résolue contre l'esclavage et ses mécanismes. Ce qui laisse supposer chez lui la vision d'un idéal politique vivant qui, dans la terminologie moderne, serait sans doute qualifiée d'humaniste. On peut penser que c'est dans l'union de ces deux aspects, solidaires dans l'acte de fondation démocratique, que va résider la pérennité du modèle, sa puissance de légitimité face aussi bien au retour de la tyrannie qu'à l'épisode de la domination de Spartes. En matière de participation politique, Solon commence par diviser la population en quatre classes "censitaires " selon le niveau de revenus, en prenant soin de ne pas oublier la classe des paysans pauvres, autrefois oubliée et pour laquelle il prévoit une représentation publique. La classe la plus riche participe davantage mais, en contrepartie, ses obligations sont plus importantes en matière de financement des dépenses publiques. Quant à la classe la plus pauvre, elle est exemptée d'impôts. Mais tout ce monde est invité à se réunir quatre fois par mois au sein d'une assemblée appelée ecclesia. C'est à cette assemblée que revient la tâche de voter les lois mais aussi de choisir, d'abord les stratèges en cas de guerre et, ensuite, chaque année, le collège des 9 archontes chargés de gouverner la cité. C'est également elle qui tire au sort les magistrats parmi les volontaires issus des classes les plus riches. Mais Solon assortit cette disposition de la création d'un autre tribunal, dont les magistrats sont issus de tout le peuple, et qui a pouvoir de juger en appel : c'est l'Hélié. En matière de lutte contre l'esclavage, Solon déclare hors la loi l'asservissement pour cause de dettes. Ecoutons à ce propos Aristote : " Devenu maître du pouvoir, Solon affranchit le peuple, en défendant que dans le présent et à l'avenir la personne du débiteur servît de gage. Il donna des lois et abolit toutes les dettes, tant privées que publiques. C'est la réforme qu'on appelle la délivrance du fardeau, par allusion à la charge qu'ils avaient comme rejetée de leurs épaules." (Constitution d'Athènes) Solon n'a pas aboli l'esclavage, mais il a attaqué ses causes et, surtout, il a affirmé implicitement son caractère ignominieux, face à quoi il n'est nulle raison économique qui vaille, face à quoi la raison économique doit savoir se taire. Il demeure ainsi de ceux qui se sont dressés contre cette violence commise contre l'ordre cosmique, et qui consiste à réduire un être doué d'esprit au rang de produit négociable et utilisable. Ailleurs, sous d'autres latitudes et dans d'autres langues, cette même voix s'est fait entendre. Comme par l'effet d'une rumeur divine qui parcourt l'univers et les époques.