Depuis Bab El Arch, Mokhtar Ladjimi n'a plus tourné de long métrage, mais voici qu'il remet la main à la pâte avec Dictashot dont le tournage vient de s'achever. Vous faites l'actualité avec le tournage de Dictashot ou Ksar eddahcha... Effectivement, après une longue pérégrination dans le documentaire je reviens à la fiction avec Ksar eddahcha. «C'est un film qui a eu le soutien du ministère de la Culture et qui a finalement pu être produit cette année . J'ai sauté sur une idée qui m'est venue à l'esprit et je me suis mis à la scénariser. Je pense que c'est une idée originale, car on n'a pas l'habitude de voir ce genre de film dans le cinéma arabe. D'ailleurs, ce qui explique ma lenteur dans les fictions, c'est cette recherche de l'originalité. Je veux prendre mon temps et arriver au bout de la course avec quelque chose de différent. Je n'aspire pas à être le meilleur et je ne suis pas prétentieux, mais je pense que ce film est très différent. En tout cas, j'espère qu'il fera date, pas seulement parce que le sujet est original, mais parce que j'ai acquis beaucoup d'expérience depuis Bab El Arch..., sans oublier le soutien de deux grands producteurs de la place, Abdelaziz Ben Mlouka et Ridha Turki. Vous avez parlé de sujet original. En quoi réside cette originalité ? D'abord dans le traitement, mais surtout dans le choix du sujet qui n'a jamais été abordé d'après ce que je sais . Il s'agit d'une clinique psychiatrique atypique. C'est en quelque sorte une fausse clinique. Ce n'est pas de la science-fiction ce n'est pas non plus du réalisme au premier degré. C'est quelque chose qui offre plusieurs pistes de lectures en suivant des énergumènes de la société tunisienne . Vous avez choisi pour cadre temporel la nuit entre le 13 et le 14 janvier. En fait, tout le film se passe dans cette période de temps précise. Pourquoi ? Evidemment il y a les événements politiques que la Tunisie a vécus en cette date historique. La révolution est là, mais elle est derrière en filigrane. Mais ce n'est pas un film sur la révolution tunisienne. C'est un film sur la dégradation des rapports humains en temps de crise. C'est aussi un film sur les rapports de pouvoir. Vous avez choisi des acteurs comme Hichem Rostom, Fatma Ben Saïdane et Jamel Madani pour ne citer que ceux-là. Ça a été facile de diriger tout ce beau monde ? Je suis très content du casting. Ce sont des comédiens hors normes pour moi. C'était une découverte et un plaisir de travailler avec Hichem Rostom qui a fait preuve d'un grand professionnalisme pendant le tournage . Car son personnage était très difficile à camper, il ne s'agit pas d'un changement de look mais surtout d'un rôle de composition assez difficile. J'ai misé aussi sur de jeunes acteurs qui viennent du théâtre, car j'estime qu'ils doivent aussi avoir leur chance. Le film se passe dans un huis clos. C'est tout de même une gageure, parce que le spectateur risque de s'ennuyer... Oui, j'ai pris cet élément en considération mais le rapport entre les personnages est si fort et si bien construit qu'on ne risque pas de s'ennuyer. Il y a également le jeu des acteurs qui est primordial et leur nouveau «look»... Hichem Rostom est carrément transformé et dans un rôle inattendu. Fatma Ben Saïdane campe le rôle d'un professeur d'histoire atteint d'Alzheimer. Non, je ne pense pas que le spectateur va s'ennuyer avec l'évolution des évènements et le rythme du film. Les conditions de production sont-elles plus faciles aujourd'hui? Pas du tout ! Aujourd'hui on a vraiment du mal à produire correctement un film tunisien. Parce que les coûts de production ont augmenté et pourtant on a fait ce film avec des techniciens 100% tunisiens. Aujourd'hui même avec l'aide du ministère, ce n'est pas suffisant, surtout lorsqu'on a des films qui nécessitent plusieurs décors. Je pense qu'il faut suivre l'exemple des Marocains qui produisent «maroco-marocain» . Il faudrait que les producteurs tunisiens arrêtent de se tirer dessus bêtement. Sur un film tunisien on peut avoir trois producteurs et chacun apporte du sien et avec le soutien du ministère on pourrait s'en sortir . Si le CNCI voit le jour, on peut faire de 6 à 8 films par an. Il faut avouer qu'on a de plus en plus mal à trouver des fonds étrangers. D'une part, la concurrence est rude, d'autre part on ne va pas se mettre à écrire des scénarios pour plaire à telle ou telle enseigne , on va perdre notre originalité . Il faudrait aussi qu'un ou plusieurs films tunisiens sortent du lot et se distinguent sur le plan international. Cela va créer un effet boule de neige et booster tout le cinéma tunisien . C'était le cas pour le cinéma iranien. Quelle est votre opinion sur ce différend qui oppose les deux syndicats de producteurs, l'ancien et la nouveau ? Si on arrive à se calmer ce serait bien pour tout le monde. Moi, je ne veux pas entrer dans cette polémique qui sépare les nouveaux des anciens. Je ne crois qu'au professionnalisme et au travail discipliné. Il y a un faux débat. Il n'y a pas de meilleur producteur et de meilleur réalisateur. Aujourd'hui on a tous besoin les uns des autres. A mon avis, ce sont des conflits personnels qui dégénèrent. Mais il faut reconnaître qu'il est temps d'arrêter certaines pratiques de producteurs qui usent de leur influence pour leur propre intérêt et qui manipulent plusieurs casquettes à la fois. Ils sont par exemple dans un syndicat, ils sont directeurs d'un festival , ils sont membres dans une commission à l'étranger. A-t-on idée aujourd'hui qu'il y a des producteurs tunisiens qui agissent contre des producteurs tunisiens dans les festivals internationaux? Ça ressemble à un film sur le trafic d'influence ... On va s'opposer de toutes nos forces à ce type de comportement digne d'un cinéma d'une république bananière. Aujourd'hui, tout le monde doit avoir sa chance selon des critères professionnels justes. On n'a pas le droit de barrer la route aux cinéastes et aux producteurs qui n'ont que l'arme de leur travail.