Le constitutionnaliste Amin Mahfoudh apporte un éclairage édifiant sur les principaux enjeux de la période à venir. La première question de La Presse concernait le code électoral Il faut séparer les deux registres; il y a le registre matériel de la préparation du projet de loi relatif au code électoral. Ce projet pourrait être l'œuvre de la société civile ou des partis politiques, et il y a la procédure légale. Dans ce cadre, il faut que ce projet soit présenté soit par l'actuel gouvernement, soit par dix députés à l'Assemblée constituante. Apparemment, un projet a été présenté, matériellement par la société civile et cautionné par un certain nombre de partis politiques qui se trouvent à l'Assemblée nationale constituante. Normalement, ce projet sera étudié par la commission législative présidée par Kalthoum Badreddine. Malheureusement, c'est un projet qui sert les intérêts des partis politiques et non pas ceux de la Tunisie. C'est un projet qui a été préparé sur commande par des partis politiques qui sont d'accord sur le mode de scrutin qui sera adopté. C'est un mode de scrutin de liste. Deuxièmement, c'est la proportionnelle qui va être adoptée. C'est pratiquement, le même système que celui du 23 octobre. Moi même, j'ai défendu la proportionnelle et le scrutin de liste parce que le contexte était constituant. C'est-à-dire, nous allons élaborer une deuxième Constitution, les différents courants politiques devaient être représentés. Mais cette fois-ci, ce qui compte prochainement, c'est le processus gouvernemental. Comment gouverner la Tunisie ? Je vois que gouverner un pays sur la base de l'adoption du régime proportionnel est très grave. Cela prépare à l'instabilité politique pour un Etat qui se trouve, comme la Tunisie, dans un contexte géopolitique extrêmement délicat. Les messages ne sont pas rassurants, ils le sont, au contraire, pour ceux qui veulent déstabiliser le pays. La Tunisie ne sera pas gouvernée par un gouvernement fort et homogène, mais par une coalition qui reposera surtout sur l'opportunisme. Le deuxième danger est que ce scrutin de liste va ramener des députés semblables à ceux de la Constituante actuelle. Le système uninominal (basé sur les individus), au contraire, oblige les partis à chercher les bons candidats, avec des profils déterminés. Deuxième avantage, le lien est très étroit entre l'électeur et l'élu. Du coup, la responsabilité de l'élu face à son électeur et face à son parti devient une réalité. On va élire des personnes qu'on connaît alors que le système de liste qui a été adopté repose sur l'élection de personnes méconnues et cela donne une Assemblée médiocre, qui produit des lois médiocres. Par contre, le système uninominal a une répercussion avantageuse sur la qualité de la norme produite. Maintenant, pour ce qui est du scrutin majoritaire, c'est un scrutin qui oblige les petits partis à disparaître. Faire alliance ou disparaître, et permet d'avoir de grands partis. Or, nous avons choisi la proportionnelle, et donc l'effritement du pouvoir. C'est la faiblesse, l'instabilité au niveau du choix des membres du gouvernement et du programme. La proportionnelle ne permet jamais aux partis qui ont gagné les élections de présenter leurs programmes tels que défendus en campagne électorale. Du coup, c'est la faiblesse et l'instabilité assurées. En Italie, un gouvernement fort a tenu six mois, c'est la moyenne. Pour ce qui des processus électoraux, je suis pour la concomitance, parce que c'est très difficile de mobiliser l'électeur tunisien deux fois. Les élections du 23 octobre 2011 l'ont bien démontré. Seulement 50% des Tunisiens se sont déplacés pour élire l'Assemblée constituante. Si on sépare les deux registres, on va donner une importance à une institution et défavoriser l'autre. L'expérience a montré, notamment en France, que les élections présidentielles attirent beaucoup plus que les élections parlementaires. Alors que pour le futur régime politique, il faut que l'électeur exerce son droit dans les deux élections. La concomitance encourage l'électeur à voter en masse. En plus, elle oblige les petits partis à revenir à leur famille politique et à soutenir leurs candidats. En Tunisie, il y a trois familles à mon avis, la famille politique conservatrice qui se réfère à la religion et à l'identité arabo-musulmane. La deuxième famille populiste qui promet que tout sera gratuit. Elle est populaire parce que, malheureusement, l'électeur est séduit par ce discours populiste. Enfin, la famille moderniste. Dans cette famille, il y a aussi bien la gauche que la droite. Les futures élections présidentielles regrouperont les candidats des trois familles. S'il y a concomitance, l'électeur votera en respect de la cohérence. S'il vote pour le courant moderniste aux élections présidentielles, il fera la même chose, dans les élections législatives. C'est la raison pour laquelle que je défends la concomitance.