Par Mohamed SASSI* La première grande réalisation de la révolution sera l'élection de l'Assemblée constituante. Son efficacité et sa viabilité dépendront, en partie, du mode électoral adopté. Plusieurs modes électoraux sont possibles. Examinons-les en exhibant leurs avantages et leurs inconvénients. 1°/ Le scrutin uninominal à un tour : Parmi les inconvénients qu'il véhicule : a/ La majorité, souvent écrasante, n'aura pas voté pour le candidat élu. Dans une circonscription donnée, il est vraisemblable, la soif de démocratie aidant, que plus de dix candidats se présentent. La dispersion des votes fera que le candidat classé premier (donc l'élu) ramasse, sauf exception, moins de 25% des voix. Plus de 75% des électeurs n'auront pas voté pour lui. b/ A qualités équivalentes, les notables seront mieux classés que les autres et auront donc plus de chance d'être élus. La Constituante sera non représentative et donc non crédible. 2°/ Le scrutin uninominal à deux tours: Il présente deux petits inconvénients : • A valeurs égales, les notables seront certes mieux classés que les autres au premier tour, mais le deuxième tour atténuera grandement cette disparité. • Les choix et les orientations politiques des élus peuvent être différents. Ce qui rendra plus difficile un consensus au sein de la Constituante. Néanmoins, cette diversité enrichira sûrement la nouvelle Constitution qui en aura grand besoin. Il présente, en revanche, beaucoup d'avantages. Nous en citons : • La possibilité pour tout citoyen de se porter candidat. • L'électeur votera en pleine connaissance de cause (il connaît les qualités et les défauts du candidat, son orientation politique, son parcours …) Après le premier tour, le classement des candidats est sans conteste l'expression de la volonté du peuple. Au second tour, l'électeur choisira, parmi les deux premiers classés, celui qui lui semble le plus valable. L'élu représente alors la majorité des votants. La Constituante sera donc suffisamment crédible. Le scrutin sur listes bloquées. Ce scrutin a le grand inconvénient d'imposer à l'électeur des candidats dont il peut ignorer tout. Cet inconvénient serait tolérable si la Tunisie comptait plusieurs grands partis aguerris que les électeurs peuvent juger sur leur gestion effective, ce qui n'est pas encore le cas. Le scrutin sur listes bloquées avec proportionnelle : Avec l'introduction de la proportionnelle, on coupe les ailes à la souveraineté du peuple. Voici un exemple simple qui l'illustre: Considérons une circonscription où il faut élire trois candidats et supposons que six listes, de trois candidats chacune, sont présentées dans cette circonscription. Supposons que les scores obtenus par les listes sont, en milliers de voix, respectivement 36, 19, 17, 15, 10, et 3. La proportionnelle, telle qu'elle est proposée, donne deux élus pour la première liste, un élu pour la deuxième et pas d'élu pour chacune des autres. Afin de comparer ce mode électoral avec les modes uninominaux précédemment exposés, émettons l'hypothèse vraisemblable que les voix obtenues, par une liste donnée sont également réparties entre les trois candidats de cette liste. Nous constatons alors: • Une distorsion de la volonté populaire puisque chacun des élus de la première liste aurait obtenu 12% des voix. L'élu de la seconde aurait obtenu moins de 7% des voix. Ce que reproduit l'inconvénient majeur du scrutin uninominal à un tour donc le peu de représentativité des élus et le peu de crédibilité de la Constituante. Une arnaque des électeurs : • L'électeur aura été obligé de choisir une liste bloquée de trois candidats. L'élu de cette liste lui sera imposé même si l'électeur a choisi cette liste à cause de la présence d'un autre candidat. Une arnaque des candidats : Sur une liste de trois candidats, la femme ou le jeune est, sauf exception, toujours placé en troisième position. Ce qui veut dire qu'il servira d'appât pour attirer un certain électorat (les électeurs jeunes et les électrices) sans qu'il ait la moindre chance d'être élu. Le scrutin sur listes bloquées à deux tours: Pour éliminer les arnaques et atténuer la distorsion du vote, on ne peut que procéder à un scrutin de listes bloquées à deux tours. Les deux listes arrivées en tête du premier tour sont qualifiées, telles quelles, pour le deuxième tour. La liste obtenant la majorité des suffrages exprimés est alors élue. Il n'y aura alors plus d'arnaques ni des électeurs, ni des candidats. Le scrutin sur listes ouvertes : L'électeur aura la possibilité de cocher les candidats qui ont sa confiance sur les différentes listes présentées dans sa circonscription, à condition de ne pas dépasser le nombre de candidats d'une même liste. Ce mode de scrutin non seulement présente les mêmes inconvénients que le mode uninominal à un tour mais se trouve être strictement ingérable tant au niveau du vote (ne pouvant être pratiqué par tous les Tunisiens) qu'au niveau du dépouillement. En conclusion, il apparaît clairement que le mode électoral sur des listes bloquées appliquant la proportionnelle tout comme le scrutin uninominal à un tour conduit inévitablement à une Assemblée constituante très peu représentative et donc non crédible. Par contre, le mode uninominal à deux tours ainsi que le vote sur des listes bloquées à deux tours traduisent plus fidèlement la volonté des électeurs et conduisent à une assemblée représentative et crédible. Parmi ces deux modes à deux tours, le mode uninominal est plus direct et plus net. Il faut cependant remarquer que le mode des listes bloquées à deux tours, contrairement aux listes bloquées appliquant la proportionnelle, permet la représentation des jeunes et des femmes. Cela pourra, d'ailleurs, être imposé par le code électoral. En définitive, le choix de l'un de ces deux modes à deux tours peut être nécessité par les découpages les plus simples et les moins polémiques des conscriptions électorales.