« Oum », c'est « Oum Kalthoum », et c'est le titre du roman de Sélim Nassib, qui parle, à travers une biographie imaginaire d' Ahmed Rami, de ce que fut le monde arabe et de ce qu'il est devenu. En cette période de commémorations, il y a d'autres symboles qui ne s'oublient pas. Oum Kalthoum, décédée le 3 février 1975, chante encore dans nos têtes. Il suffit d'un petit air pour que la suite des paroles se déclenche. Mais celle qu'on appelle l'Etoile de l'Orient représente plus qu'une chanson d'amour, plus qu'un goût d'enfance, plus que la taille d'un livre... Selon Sélim Nassib, écrivain libanais vivant en France, auteur de « Oum» (1), un roman librement inspiré de la vie du poète Ahmed Rami (2), Oum Kalthoum est l'humeur de notre monde, cette époque où l'on a passionnément voulu se fiancer au reste du monde, ce palais de songes construits par des esprits éclairés, modernes et créatifs. Ces mêmes mains constructives auraient souhaité que les songes se glissent dans les plis du temps et survivent, comme ces graines qui savent résister à l'hiver. Mais Oum Kalthoum est morte sans descendance. Là, le personnage principal du roman, Ahmed Rami, ne pense pas aux enfants réels. Il veut dire que ce qu'ils ont vécu, à leur époque, n'a aucune descendance. Selon lui, la diva était l'héritière de tout un art. Mais, dit-il, héritière dernière... Fruit, dernier fruit, et quel fruit ! Comme s'il ne pouvait en exister qu'un seul, éblouissant. Et puis après, rien ! « Le renouveau de la pensée, de l'islam, de la littérature, de la politique, rien», ajoute-t-il. « La renaissance qui devait secouer notre culture, la battre comme un tapis ancien pour en raviver les couleurs incomparables a tourné court, voilà la vérité. Nous avons brûlé intensément et n'avons enfanté de rien. Ces soldats (3) qui ont ouvert le feu en criant « Dieu est le plus grand ! » sont finalement les enfants de notre échec, nos seuls enfants». Quand les islamistes ont abattu le président Sadate, au milieu de la tribune officielle, en plein défilé, Rami n'a trouvé aucune explication à donner à Oum Kalthoum. Mais il a parlé d'une Egypte entre deux chaises, d'un pays où le fil noir et le fil blanc sont tissés ensemble. « Avec les islamistes d'antan, on pouvait au moins discuter un peu. Alors que ceux d'aujourd'hui, leurs descendants, plus d'espoir, ils sont la fin, le divorce d'avec le monde ». Comment en est-on arrivés là ? Par quels enchaînements, quelle succession d'évènements ? Pour comprendre, Rami a commencé à écrire. Au bout de quelques pages, il a réalisé qu'il racontait son histoire d'amour depuis le début. Comme s'il fallait comprendre ça pour comprendre le reste, comme si c'était le meilleur fil conducteur. Ce livre est un très beau cadeau, en cette période où l'on se pose encore les mêmes questions. (1) Oum, au sens propre, veut dire mère. Au sens figuré, comme dans Oum Kalthoum, cela veut dire la mère aux joues rebondies, la femme au visage plein. (2) Ahmed Rami, mort en 1981, a éperdument aimé Oum Kalthoum et écrit 137 des 283 chansons qu'elle a interprétées. (3) L'auteur fait ici allusion aux auteurs de l'attentat contre Sadate.