Par le Pr Samir MARZOUKI Un colloque international intitulé «Quelle didactique plurilingue et pluriculturelle en contexte mondialisé ? » s'est tenu à Paris, les 17, 18 et 19 juin 2010, à la Maison des Mines et des Ponts et Chaussées, conjointement organisé par l'équipe de recherche «Pluralité des langues et des identités : didactique, acquisition, médiations» (Plidam), dirigée par le Pr Geneviève Zarate au sein de l'Institut national français des langues et cultures orientales (Inalco) et le Soas-UCL, Centre for Excellence in Language Teaching and Learning- «Languages of the Wider World», de l'Université de Londres, équivalent anglais du prestigieux institut français. Pendant trois jours, des universitaires des cinq continents, didacticiens, linguistes, anthropologues, sociologues, psychologues, dont plusieurs Tunisiens, enseignants-chercheurs ou doctorants exerçant ou élaborant leurs recherches en Tunisie ou en France, ont débattu, en français et en anglais, des évolutions observées et prévisibles, du fait de la mondialisation des échanges, dans le domaine de la didactique des langues et cultures. Inspiré par le Précis du pluringuisme et du pluriculturalisme, ouvrage collectif dirigé par les professeurs Geneviève Zarate de l'Inalco en France, Danielle Lévy, de l'Université de Macerata en Italie et Claire Kramsch, de l'Université de Berkeley aux Etats-Unis et publié en français à Paris par les éditions des Archives contemporaines en 2008 et en anglais dans une édition électronique, ce colloque, essentiellement sous la forme de tables rondes de spécialistes, suivies de débats avec la salle, a abordé tous les aspects de la question à laquelle il s'est attaqué : la recherche en langues, les approches plurilingues et pluriculturelles, particulièrement en didactique, les nouveaux référents pour la didactique des langues et des cultures, les rapports de force entre les langues, la gestion institutionnelle du multilinguisme, les langues et l'intégration sociale de leurs apprenants, la construction identitaire des apprenants de langues et leurs stratégies d'apprentissage, la transposition des modèles didactiques hors de leur contexte de production, la compétence interculturelle, la médiation culturelle, notamment en traduction-interprétation et, plus généralement, le plurilinguisme, ses pratiques, ses représentations, son enseignement et son acquisition. L'ensemble des communications et des débats de ce riche colloque scientifique tournait autour de la question cruciale de la diversité linguistique et culturelle, ses risques et ses atouts dans un monde globalisé. C'est pourquoi il y a été fortement question des modèles didactiques importés ou adaptés qui fut le sujet d'un numéro du supplément scientifique Recherches et applications de la revue Le Français dans le monde, consacré à «La circulation internationale des idées en didactique des langues» (juillet 2009) ainsi que de la nécessité, des limites et des risques de la contextualisation de ces modèles. On observe, en effet, dans le domaine de la didactique des langues, ce qu'on pourrait qualifier de tyrannie des modèles de même qu'une tendance corollaire à se soumettre à ces modèles importés. Une quasi doxa didactique s'est installée partout qui veut, par exemple, que, hors du Cadre européen commun de référence pour les langues, le fameux Cecr, il n'y ait pas de salut, ce cadre devenant une sorte de bible des institutionnels, des enseignants et des didacticiens agissant dans le domaine des langues, y compris les langues non européennes. L'apport indéniable de ce document de référence ainsi que des recherches qui y ont mené ou de celles qui s'en inspirent encore n'est pas mis en cause ici, notamment parce que cet outil tendant vers l'internationalisation est utile du fait qu'il établit des critères communs, qu'il étalonne, permet de mesurer les performances de façon crédible et procure des références communes facilitant la discussion, l'intercompréhension et la recherche mais, à l'égard de ce cadre comme à l'égard de tout, il faut savoir raison garder c'est-à-dire relativiser et contextualiser ses analyses et ses approches. On sait, par exemple, que les tests dits d'intelligence, conçus en Occident et proposés, par exemple en Afrique, à des sujets non scolarisés ou non scolarisés à l'occidentale, produisent des résultats qu'il convient de relativiser – cela si l'idée même de mesurer l'intelligence d'autrui est admise — car, certains concepteurs de ces tests, initiés aux jeux d'intelligence de l'Afrique subsaharienne ou du Sahara maghrébin comme la kharbga qui, pourtant, sont des jeux très simples et très logiques, ont eu des résultats lamentables qu'on a mis, avec raison, sur le compte des différences culturelles et non sur celui d'un déficit de l'intelligence de ces êtres humains ou des peuples ou communautés dont ils font partie. On peut, on doit adopter des modèles didactiques quand on en a besoin, mais on ne doit jamais oublier le contexte où on les adopte c'est-à-dire que ces modèles adoptés doivent être aussi, préalablement puis au fur et à mesure, adaptés à ce contexte. Mais la difficulté est que cette adaptation elle-même doit tenir compte des nuances qui peuvent affecter ce contexte. Un intervenant, d'origine sénégalaise exerçant en Australie, M. Ibrahima Diallo, a évoqué la nécessité, pour l'enseignement des langues en contexte arabo-islamique, d'adopter une pédagogie qui tienne compte du «contexte épistémique et des traditions scholastiques de l'apprenant musulman». La question que pose une telle proposition est celle de la définition de ce contexte épistémique et de ces traditions scholastiques car tous les contextes arabo-islamiques ne se ressemblent pas. Dans le monde arabo-musulman, outre la diversité des rites et même celle des croyances ou des attitudes à l'égard de la religion, il y a aussi des évolutions historiques différentes et des choix des élites politiques qui ont implanté dans certains pays un enseignement assez proche des modèles occidentaux depuis la seconde moitié du XIXe siècle alors que d'autres n'ont connu, pendant plusieurs décades, qu'un enseignement de type traditionnel. En d'autres termes, la contextualisation de l'enseignement des langues et l'intelligence de ses contextes ne peut se faire par l'uniformisation globalisante tendant à percevoir comme similaires des contextes proches par certains de leurs aspect mais souvent bien différents par d'autres. On risquerait, sinon, dans l'élan généreux vers une contextualisation des apprentissages, d'aboutir à des aberrations comparables à ce qu'on a observé, en Afrique subsaharienne, dans certaines réalisations de l'intéressante et très légitime pédagogie du français appuyée sur les langues natales où, enseignant le français à partir de la première langue des enfants, on a oublié les langues des minorités linguistiques de certaines régions dominées par des langues majoritaires, aux enfants desquelles on a donc enseigné le français à partir d'une autre langue qui n'était pas leur langue maternelle, renforçant ainsi, au lieu de l'atténuer, le sentiment d'insécurité linguistique né de l'apprentissage du français. La diversité linguistique et culturelle, en d'autres termes, n'est pas uniquement à appréhender à l'échelle macro structurelle. Elle est aussi caractéristique de chaque microstructure et, si le décideur, par pragmatisme, est quelquefois amené à ne pas trop s'encombrer de nuances, le rôle du chercheur et du praticien du terrain est de tenir compte, le plus possible, de ces nuances c'est-à-dire de la complexité du réel qu'il étudie ou sur lequel il tente d'agir.