Du dôme de Florence à la voûte nubienne, «comment mettre en relation la notion d'architecture et la notion de pensée » ? L'architecte et maître de conférence à l'Enau, Dorra Ismaïl, a présenté au public, vendredi dernier, à Beït al-Hikma, son ouvrage intitulé La pensée en architecture au «risque» de l'événementialité. Cet ouvrage, paru aux éditions de l'Harmattan en 2009, vient de paraître dans sa version arabe, traduite par le spécialiste en littératures comparées, Mohamed Ben Mrad. La chercheure estime que «dans cette période post-révolutionnaire, l'intellectuel se doit de présenter des outils et des nuances quant aux manières de comprendre et de décrypter les discours et rhétoriques qui nous «arrivent» via les différentes sources de média». Dans son livre, elle s'intéresse à l'événement architectural à travers une tentative de le penser dans la durée, loin de son statut d'objet à subir dans le moment. «Il s'agit de valoriser des niveaux de discours différents, afin de se distancier du fait-événement qui habite notre quotidien», explique-t-elle encore. La présentation de l'ouvrage a été assurée par le cinéaste et enseignant Fethi Doghri, qui a évoqué les références utilisées par Dorra Ismaïl. Elles vont de Derrida à Aristote et Adonis. Cela pour manifester que l'architecture est liée à la vie et à l'espace, et qu'elle n'est point abstraite. Il s'est beaucoup agi de philosophie et d'histoire dans l'approche de l'auteure, puisque «l'architecture s'alimente de références», comme elle l'affirme dans son exposé. L'événement architectural peut être le fruit d'un contexte politique qui détermine son orientation. Tel est le cas de l'Arche de la Défense, ou encore de la pyramide du Louvre, toutes deux construites en France pendant la présidence de François Mitterrand. Pour mettre plus en évidence cette question de référence, Dorra Ismaïl a analysé le résultat d'un exercice donné à ses étudiants en première année d'architecture, où la consigne était de réaliser la maquette d'une maison japonaise. Alors que certains confondent les styles japonais et chinois, d'autres ont manifesté une maîtrise du thème abordé. Une seule proposition est allée dans le sens d'une réflexion propre sur le sujet, en prenant en compte le mode de vie des Japonais et leur rapport à l'environnement dans sa maquette. Dorra Ismaïl s'est penchée aussi sur les «deux univers mentaux distincts», en comparant l'architecture dans ses conceptions arabe et latine. L'équivalent du terme architecture en arabe est un dérivé de « géométrie », alors que dans les langues latines, il correspondrait à «l'art de bâtir». La première conception est donc une abstraction de l'architecture, dans sa structure et dans son esthétique. Dans ce sens, et pour revenir à l'événementialité, alors que les Arabes datent selon l'Hégire (exil des Compagnons de Mahomet de La Mecque à Médine), les héritiers du Latin datent, eux, en référence à la naissance de Jésus. Deux événements déterminants dans l'histoire des deux civilisations, et qui n'ont pas manqué d'influencer la manière de penser l'architecture. L'un des soucis majeurs de l'auteure étant de savoir «comment mettre en relation la notion d'architecture et la notion de pensée», elle a choisi de «démystifier pour comprendre autrement». Cela s'applique notamment à l'exemple du Dôme de Florence, considéré comme un événement fondateur et inaugural d'un nouveau savoir-faire architectural. Pour ce faire, Dorra Ismaïl s'est penchée sur le cas de la voûte nubienne, que l'on retrouve entre autres dans le sud de la Tunisie et au Soudan, et qu'elle considère comme une preuve que la manière de vivre dans l'espace et la manière de penser l'espace sont liées. Dans ses travaux, elle va jusqu'à réaliser des propositions nouvelles de l'architecture des voûtes, sous forme d'extrapolation des styles ancestraux. Son ouvrage lui a permis de conclure que «la compréhension et l'action dans le champ de la discipline nécessitent une conscience des univers sociopolitiques et idéologiques dans lesquels nous agissons». Elle tranche : «L'événement est neutre. Il constitue une trame de fond pour penser l'architecture». Dans «La pensée en architecture au «risque» de l'événementialité», il s'agit beaucoup, comme son titre l'indique, de risque. Notamment le risque de mettre en relation la notion d'architecture et la notion de pensée, alors que d'autres affirment que « l'architecture n'existe pas comme pensée autonome ». *Entretien avec l'architecte et ingénieur Marc Mimram, dans Le Monde du 4 août 2009