Pas moins de 170 mille émigrés clandestins tunisiens vivent dans des conditions dégradantes et inhumaines. La société civile tunisienne en Italie s'engage dans le traitement du dossier des portés disparus en septembre 2012, soit 78 Tunisiens dont le sort demeure un mystère. Le dossier des émigrants clandestins tunisiens, portés disparus sur les côtes de Lampedusa demeure jusqu'à nos jours non clos, plongeant leurs parents dans une perpétuelle inquiétude. Ce dossier épineux, aux dimensions à la fois sociale, humanitaire et politique, montre — selon les dires des familles des victimes — l'insouciance injustifiée et le laisser-aller peu innocent des institutions de l'Etat. Entre-temps, et soucieuse de trouver la réponse à ce drame énigmatique, la société civile milite dans l'espoir de retrouver lesdits émigrés, vivants ou décédés. L'Union nationale libre s'engage désormais à traiter ce dossier. Lors d'un point de presse tenu à l'occasion au siège du parti à El Menzah, les représentants des bureaux annexes en Italie ainsi que l'association «Al waâd al jadid» (la nouvelle promesse) ont informé l'assistance des démarches effectuées et celles envisagées à cet effet. M. Mohamed Riahi, président de la Ligue des associations tunisiennes en Italie et membre du bureau de l'UNL, a rappelé que la société civile prend à cœur le dossier des émigrés clandestins, surtout que ces derniers comptent pas moins de 170 mille et vivent dans des conditions dégradantes et inhumaines. La Ligue avait, déjà, procédé à des démarches officielles à cet effet, notamment le recours à la présidence de la République ainsi qu'à l'ANC dans l'espoir de faire bouger les choses. Parallèlement, Mme Zina Kochk, présidente de l'association «al waad al jadid»— une association tunisienne en Italie — et membre de l'UNL, s'active, depuis plus d'un an, pour traiter ce dossier et dévoiler la réalité. Prenant la parole, elle a signalé l'existence de vidéos qui prouvent que les émigrés ont débarqué au port de Palerme en septembre 2012 et sont bel et bien vivants. Où sont-ils ? Quel était leur sort une fois entrés dans le territoire italien ? Les questions restent pour l'instant sans réponse. La passivité de l'Etat tunisien étonne le ministre de l'Intérieur italien... La militante de la société civile avait tenté de coordonner avec les Etats italien et tunisien, mais s'était heurtée à une passivité imprévisible et intrigante. Les responsables de l'ex-gouvernement, à savoir Houssine Jaziri et Habib Louizi, respectivement ministre des Affaires sociales et des Tunisiens à l'étranger et président de l'Office national des Tunisiens à l'étranger, ont pris congé au moment où ils devaient soutenir l'action d'investigation menée par Mme Kochk. Pis encore : l'Etat tunisien avait refusé de donner les informations relatives à l'identité des portés disparus, dont les empreintes digitales. «Nous n'avions d'autre choix que de mener un travail d'investigation auprès des familles afin d'avoir les photos, les noms au complet et les empreintes des disparus grâce à leurs cartes d'identité. Puis nous avons remis une liste détaillée comprenant ces données aux consulats tunisiens ainsi qu'à l'ambassade tunisienne en Italie. Nous avons également demandé l'autorisation de visiter les prisons italiennes afin de vérifier si les Tunisiens portés disparus n'étaient pas incarcérés», a indiqué l'oratrice qui a même réussi à obtenir un entretien avec le ministre de l'Intérieur italien pour exposer le problème. «Le ministre italien n'a pu cacher son étonnement quant à la passivité de l'Etat tunisien. Il a manifesté une intention particulière à renforcer le partenariat tuniso-italien pour résoudre ce dossier», a souligné Mme Kochk. Et d'ajouter que d'autres démarches seront prises dans les jours qui suivent, impliquant ainsi le ministère de tutelle et l'Office national des Tunisiens à l'étranger. L'oratrice a rappelé, en outre, que l'ex-gouvernement avait chargé une commission spécialisée pour le traitement du dossier, une commission qui n'avait pas tenu son engagement. «Cette commission est appelée à reprendre sa mission et de coopérer avec nous pour dévoiler la réalité et trouver les Tunisiens portés disparus», recommande Mme Kochk. Le point de presse a permis aux parents des jeunes portés disparus de faire part de leur désarroi et leur inquiétude quant au sort de leur progéniture. Mme Samia Zouaoui n'a pas revu son fils depuis 2012. Elle déclare pourtant l'avoir eu au téléphone cinq mois après sa disparition. «Lorsque j'ai rencontré Jaziri, je l'ai informé de ce détail qui pourrait être un fil conducteur susceptible de nous aider dans les recherches. Mais il m'avait dit que ce devait être des hallucinations», raconte-t-elle indignée. Pour elle, ce sont ces mêmes jeunes qui ont fait la révolution et qui demeurent jusqu'à nos jours marginalisés, sans emploi et sans ambitions. «Pour nous, parents, précise-t-elle, nous sommes prêts à déclencher une seconde révolution si les choses ne s'arrangent pas et si l'Etat n'assume pas ses responsabilités». Un autre intervenant prend la parole, sur un ton aigri et vengeur : «Je soupçonne, hausse-t-il le ton, une manigance entre l'Etat tunisien et celui italien. Comment se fait-il que 78 jeunes Tunisiens soient portés disparus alors qu'ils ont bel et bien débarqué au port de Palerme». Quant à Mounira, elle reproche à l'Etat sa politique du deux poids deux mesures envers les enfants d'une même patrie. «Chaque jour, des débats et des réunions se tiennent sur les Tunisiens en Syrie. Quant à nos fils, ils sont relégués aux oubliettes», note-t-elle. Imed Soltani, militant de la société civile, suggère de poursuivre en justice toutes les parties qui ont failli à leur mission d'investigation sur ce dossier ; des procédures qu'il a déjà entamées dans le cadre de ses activités associatives.