Nous avons demandé l'avis de Hatem M'rad, politologue, pour apporter un éclairage sur les différences de nature ou de degré existant entre les régimes dictatoriaux. Les cas de l'Egypte et de la Tunisie sont pleins d'enseignements. «La tyrannie c'est l'équivalent du despotisme. C'est un système qui verrouille les libertés, qui n'est pas fondé sur la loi, où la volonté du chef l'emporte sur la loi générale. Ce sont des considérations au fond qui s'appliquent invariablement à la dictature et au régime totalitaire ainsi qu'au régime tyrannique, despotique. C'est le fait que le pays n'est pas géré sur la base de la loi mais sur la base de la volonté d'un chef, d'un groupe, d'un parti ou d'un clan. La tyrannie et le despotisme cadrent avec le régime autoritaire, tandis que les deux autres concepts comparables sont dictature et totalitaire. Il y a deux niveaux de comparaison. Tyrannie et despotisme, c'est le premier degré d'autoritarisme. Il peut y avoir une tyrannie monarchique, tyrannie républicaine. Tyrannie et despotisme sont fondés sur la volonté d'un seul homme. Le pouvoir politique verrouille et encadre la société, et parle en son nom. Quand on passe à la dictature et au totalitarisme, il y a une dimension supplémentaire de tyrannie, parce que autant la tyrannie et le despotisme sont une sorte de mise entre parenthèses de la loi, des libertés et des espaces libres, autant la dictature et le totalitarisme sont un verrouillage total, c'est le règne du culte de la personnalité. Généralement il y a dictature, lorsqu'il y a des dictateurs. Les dictatures quand elles sont fondées sur une idéologie, une philosophie de l'histoire, on les appelle régimes totalitaires. Staline représente le régime totalitaire. Le régime stalinien, et communiste étaient fondés sur l'idéologie marxiste. Les régimes fascistes sont totalitaires fondés sur des idéologies nationalistes pour Mussolini, et national-socialiste pour Hitler. Ce dernier voulait parvenir à réaliser une certaine phase de l'histoire : l'établissement de la pureté de la nation et l'épuration de la race. Lorsque la dictature est fondée sur une philosophie de l'histoire, les objectifs historiques devant être réalisés par une idéologie quelconque, on est dans le cadre du totalitarisme. Il y a des finalités idéologiques devant être réalisées par l'histoire qu'ils ont décrétées comme telles. L'Egypte est un régime qui se situe entre la démocratie et le régime autoritaire, tant qu'il y a eu cette phase de déposition de Morsi à la fois par la société civile et par l'armée. C'est ce qui rend ambiguë la situation égyptienne actuelle. Ce qui est réalisé actuellement est voulu à la fois par la société civile et par l'armée. Cela confère à la situation l'aspect démocratique pour la société civile et un aspect d'autoritarisme militaire. Ce qui est préoccupant, c'est quand on demande l'avis de la population, comme ce que j'ai vu sur des chaînes indépendantes, occidentales qui ne sont pas complaisantes avec le régime actuel, la population considère que les Frères, ou la plupart d'entre eux, méritent cette condamnation. Il faut dire qu'il y a une adhésion des Egyptiens de manière incroyable. La population égyptienne est vaccinée contre l'islamisme, elle a vu l'évolution des islamistes depuis Hassan El Banna. L'Egypte est le terreau du phénomène islamiste, c'est pourquoi les Egyptiens sont à même d'en parler mieux que nous. En Tunisie nous ne connaissons que les conséquences de l'islamisme. En Egypte, au contraire, c'est son pays d'origine, les islamistes n'y sont pas modérés, comme chez nous. En Tunisie, quoi qu'on fasse et quoi qu'on dise, Ennahdha a la réputation dans le monde d'être un parti islamiste modéré qui veut jouer le jeu de la démocratie, et ce, depuis longtemps. Même si les écrits de Ghannouchi sont identifiables au salafisme, beaucoup plus qu'à la démocratie. Mais le comportement et les déclarations du même Gannouchi au cours de la transition le ramènent plutôt au jeu démocratique. Chose qui n'existe pas en Egypte, chez les partis islamistes des Frères musulmans et des salafistes, le parti Nour. Morsi, au pouvoir, voulait islamiser la société de force, c'est pour cette raison que les Egyptiens ont réagi avec toute la société civile. Ils sont descendus dans la rue. Ces Egyptiens pensent et disent qu'il n'y a que l'armée qui puisse les défendre. En Tunisie, au cours de la période de transition, il y avait d'un côté la rue et de l'autre les islamistes. Qu'est-ce qui a fait la différence ? Qui était en appui avec la rue ? C'est la montée de Nida Tounes qui a rétabli l'équilibre. La montée de Nida Tounes est très importante. C'est un fait historique important dans la transition tunisienne. Ce parti a rétabli l'équilibre politique avec les islamistes. Même dans une transition, la démocratie a besoin de partis forts. Deux partis importants suffisent pour garantir l'équilibre du paysage politique ».