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Métamorphoses du quotidien
Livre et vie: Le pigeon de Patrick Süskind
Publié dans La Presse de Tunisie le 01 - 01 - 2000

C'est l'histoire d'un homme qui n'aime pas les événements, et qui a une véritable horreur de ceux qui ébranlent son équilibre intérieur et chamboulent le bon ordre de sa vie.
Est-il possible d'avoir une vie si ordonnée, réglée comme une montre, où il ne se passe rien ? Est-ce cela la routine ? Et combien peut-elle durer ? Peut-on échapper aux événements quand on vit en perpétuelle interaction avec ce corps si complexe qu'est l'environnement ?
Une chose est sûre, la vie est loin d'être un fleuve tranquille. Et même si ça l'est pour un moment ou une longue période, le fleuve finira toujours par se fissurer. Quand « ça » arrive, qu'est-ce qui nous ébranle autant si ce n'est la peur du changement, la peur de l'inconnu ?
La fissure, ou l'événement qui a eu lieu dans le monde tranquille de Jonathan Noël, le personnage principal du roman qu'on a choisi pour vous aujourd'hui, s'appelle le Pigeon.
Ce volatile va réveiller, chez le pauvre vieux garçon, un tourbillon d'angoisses chaotiques, dont certaines sont si profondément enfouies qu'il n'en avait pas même conscience avant l'incident.
Issu d'une famille décimée par les persécutions nazies, marqué par une expérience militaire en Indochine au début des années cinquante, le quinquagénaire occulte ce passé douloureux en prenant un soin extrême à ce que rien ne vienne perturber un quotidien organisé avec la précision du métronome.
«De toutes ces péripéties, Jonathan Noël tira la conclusion qu'on ne pouvait se fier aux humains et qu'on ne saurait vivre en paix qu'en les tenant à l'écart», écrit Patrick Süskind, auteur de Le pigeon.
L'écrivain, connu par son précédent roman, Le parfum, désormais très populaire, décrit la vie de son personnage avec une finesse psychologique confondante. Cette vie est marquée par une force d'inertie peu commune, et la pire crainte de Jonathan c'est un changement, même infime, dans ses habitudes.
Cela fait trente ans qu'il loge dans une minuscule chambre de bonne à Paris, où il se sent à l'abri des turpitudes de la vie en société. Il ne quitte ce havre douillet que pour aller travailler en tant que vigile sur le parvis d'une banque de la place... Or, un matin, quand il sort faire ses besoins dans les petites toilettes de l'étage, après avoir écouté soigneusement derrière la porte pour être sûr de ne rencontrer personne, il tombe face à face avec un pigeon. «Il était posé devant sa porte, à moins de vingt centimètres du seuil, dans la lueur blafarde du petit matin qui filtrait par la fenêtre. Il avait ses pattes rouges et crochues plantées dans le carrelage sang de bœuf du couloir, et son plumage lisse était d'un gris de plomb : le pigeon. Il avait penché sa tête de côté et fixait Jonathan de son œil gauche. Cet œil, un petit disque rond, brun avec un point noir au centre, était effrayant à voir. Il était fixé comme un bouton cousu sur le plumage de la tête, il était dépourvu de cils et de sourcils, il était tout nu et impudemment tourné vers l'extérieur, et monstrueusement ouvert ; mais en même temps il y avait là, dans cet œil, une sorte de sournoiserie retenue ; et, en même temps encore, il ne semblait être ni sournois, ni ouvert, mais tout simplement sans vie, comme l'objectif d'une caméra qui avale toute la lumière extérieure et ne laisse passer aucun rayon en provenance de son intérieur. Il n'y avait pas d'éclat, pas de lueur dans cet œil, pas la moindre étincelle de vie. C'était un œil sans regard. Et il fixait Jonathan».
Pris de panique, le vieux garçon s'enferme dans sa chambre. Ce n'est qu'avec un grand élan de courage qu'il parvient à sortir de sa chambrette et aller à son travail. Il est résolu à se séparer de sa chambrette pour ne plus avoir à revoir le pigeon.
Tout au long de la journée, il ne réussit pas à suivre son habituelle routine et se croit fini. Il commet quelques étourderies lors de son service du matin et déchire involontairement son pantalon pendant sa pause déjeuner : ces événements sans importance majeure prennent à ses yeux la dimension d'un drame. Il va jusqu'à envier le clochard qu'il voit tous les jours depuis des années, et qui semble incarner, à ce moment, un modèle d'insouciance et de liberté, très loin de ses propres angoisses. Le soir venu, il va coucher à l'hôtel avec ses économies pour ne pas avoir à revoir le pigeon. Il passe une nuit tourmentée, un orage provoque en lui une réminiscence de ses souvenirs d'enfance douloureux. Mais le lendemain, lorsqu'il décide de revenir chez lui, il paraît apaisé. Comme le jour où il a découvert la disparition de sa mère en 1942, il s'amuse à marcher en plein dans les flaques d'eau. Une fois rentré chez lui, Jonathan découvre avec soulagement que le pigeon n'est plus là et que le couloir est propre.
Ce roman à haute teneur psychologique, qui décrit minutieusement la brusque altération du rapport au réel, a suscité beaucoup de réflexions chez des spécialistes de différentes disciplines. Certains ont «diagnostiqué» chez Jonathan une paranoïa, un trouble mental manifesté par des difficultés relationnelles, des troubles du comportement et un sentiment de persécution pouvant aller jusqu'à un point d'irrationalité et de délire. D'autres ont trouvé que Jonathan souffre de phobie, qui signifie la peur démesurée de quelque chose ou d'une situation précise.
Professeur en psychologie clinique, Jean Bouisson rapproche l'expérience vécue par le personnage du « Pigeon » de ce que l'on appelle familièrement le «coup de vieux», c'est-à-dire une vulnérabilité liée au vieillissement.
Mais, à notre humble avis, la peur irrationnelle de Jonathan cache, avant tout, son besoin immense de sécurité. Son passé lui a appris que le monde est dangereux. C'est pour cela qu'il ne vit que pour et dans sa chambre, celle qu'il considère, en quelque sorte, comme «sa maîtresse, car elle l'accueille tendrement en elle».
Ce petit livre (moins d'une centaine de pages) est un très beau récit sur le quotidien, et le sens de la vie. Mais comme l'a si bien dit Danièle Mazingarbe, de Madame Figaro, après l'avoir lu, plus jamais vous ne regarderez un pigeon de la même façon.


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