Il y a quelques semaines est paru « Par-delà la ligne rouge » de Sadok Ben Ammar. Un roman de 192 pages dans lequel l'auteur raconte l'histoire d'un couple au bord du déchirement. Une trame centrale sur laquelle vient se greffer d'autres fragments de vie. Sadok Ben Ammar livre une histoire tunisienne contemporaine où la psychologie de l'individu est transcendée : ses rêves, ses espoirs mais surtout son passé sont mis à nu reflétant une diversité d'humeur, un foisonnement de caractères hétéroclites et attachant… Le roman des « caractères » Tout commence avec les vacances de Slim et de Nour, un couple de trentenaire à la réussite sociale bien installée mais que l'échec dans la vie privée se fait bien sentir. Pour se retrouver, ils font une escapade à Djerba. Pourtant le cadre idyllique et romantique de l'île de Beauté, loin de raviver une flamme d'amour qui semble s'être consumée depuis longtemps, révèle le couple à lui-même. La caractérielle Nour assisterait à la fin de son couple dans une impuissance tonitruante. L'aventureux Slim entreprend une exploration de son fort intérieur et de son inconscient à travers des rencontres faisant éclater ce qui fut depuis toujours enfermé. Grâce à sa rencontre avec la douce et néanmoins indécise Shanaz, Slim entame sa découverte de soi. Cette nouvelle femme qui entre dans sa vie cache en elle un lourd passé. Journaliste, elle laisse tout tomber par amour et suivra Neil, le photographe libanais, venu couvrir les évènements des pays du printemps arabe. Un amour suspendu lorsque Shanaz retourne au pays. Brouillé avec sa famille, elle vient à Djerba en compagnie d'un ami de toujours, Karim, pour une mise au point sur une existence incertaine. Là-bas, elle tombe sur Slim, « le naufragé ». S'en suit un jeu de séduction qui les mènera en vadrouille dans tout Djerba en compagnie de Noman. Ce dernier est un beur venu sur l'île pour renouer avec ses origines. Cet enfant « de nulle part » est en quête d'une identité qui semble se dérober des deux bords de la Méditerranée. Noman rencontrera dans son « périple » des membres de sa famille, un premier contact vers la réalisation de soi ? Sadok Ben Ammar dépeint ainsi une série de portraits ; des caractères qui se miroitent et se font l'écho l'un de l'autre par moments. Dans un espace insulaire, fermé sur lui-même, le retour sur soi est une révélation au-delà des limites. Les limites de l'île font tomber les frontières de l'être. De la rotondité de l'île à l'émancipation du moi Djerba est le cadre spatial qui accueille les personnages. De l'hôtel luxueux aux plages vierges en passant par l'intérieur des maisons et des villes authentiques, les personnages évoluent dans un lieu clos qui se meut petit à petit en un lieu libérateur. En effet, loin d'enfermer les protagonistes dans la spirale infernale de l'apitoiement, chacun trouvera un chemin, créera sa destinée ou plutôt la réinventera. Le farniente apparent cède la place, au fil des pages, à cette reconquête des émotions. Les sentiments foisonnent, les pensées s'aiguisent et s'affinent et la fatalité d'une tragi-comédie annoncée perd de son envergure. Les personnages nous surprennent par leur comportement et la trame est, dès lors, pleine de rebondissements. Dans un style qui rappelle les romans psychologiques, Sadok Ben Ammar livre une histoire de notre temps. Ancrée dans le XXIème siècle, les personnages sont ces figures qu'on croise et qui traverse notre vie. Leur existence est la nôtre. L'auteur décortique la psychologie d'une société en proie à des tiraillements existentiels où l'histoire personnelle crée l'Histoire des nations. Sadok Ben Ammar offre un regard limpide sur un « moi » en construction. La parenthèse d'une existence bien rangée devient le révélateur d'une vie entière. Si Balzac se voyait comme « le secrétaire de la société », Sadok Ben Ammar serait « le psychologue » de la nôtre. « Par-delà la ligne rouge » est un premier roman qui révèle un nouvel auteur tunisien, un roman qui se laisse lire avec aisance pour parler de nos tourments en toute simplicité dans un style simple, sans prétention : un roman à découvrir…