Par Hamma HANACHI 1962-2012. Algérie, les 50 ans d'indépendance ont donné lieu à de grandes commémorations et une multitude de manifestations. On y trouve de tous les goûts et dans toutes les disciplines, on sort les archives (de France), des ouvrages historiques, des documents sociologiques, des témoignages, des documentaires, des émissions de radio et de télévision, toutes les chaînes s'y sont mises, celles thématiques ressortent les vieux films sur les atrocités de la guerre, les légionnaires, l'usage de la torture, etc. Forcément la chaîne Public Sénat n'a pas manqué à l'appel, elle a programmé des plateaux sur le sujet, rediffusion vendredi, dans Bibliothèque Médicis, Jean-Pierre Elkabach a invité une brochette de spécialistes de différentes disciplines pour évoquer le drame de la guerre, les souvenirs et la réconciliation souhaitée. L'inévitable Hervé Bourges, ancien journaliste, anticolonialiste, conseiller de Ben Bella, homme de réseaux et grand commis de l'Etat (Pdg de France télévisions, président du CSA, etc.), relate ses amitiés avec les dirigeants du FLN, les premières années de l'Indépendance et sa dernière rencontre avec Ben Bella peu de jours avant sa mort. Claude Juin, essayiste, sociologue, soldat en Algérie, a assisté à des scènes de torture (Des soldats tortionnaires, sous- titré Guerre d'Algérie, des jeunes gens ordinaires confrontés à l'intolérable), il affirme écrire pour fuir la souffrance. Alexandre Arcady, cinéaste, Algérien de naissance, a adapté au cinéma le roman-fleuve de Yasmina Khadra (Ce que le jour doit à la nuit), Fatima Besnaci-Lancou, écrivain, spécialiste de la population harkie en France, fille de harki elle-même, elle a dirigé le numéro spécial de la revue Les Temps modernes «Harkis,1962-2012, les mythes et les faits», Jean-Noël Pancrazi, romancier, né à Sétif, note que l'Algérie, son pays de naissance, quittée en juillet 1962, est toujours présente dans son esprit et dans ses romans, Madame Arnoul retrace son enfance à Batna. Sur le plateau, sa voix frémissante et sûre raconte : «J'ai toujours eu horreur et aversion de l'humiliation, raison pour laquelle j'étais toujours premier de la classe ». Il est invité pour son nouveau et court récit « La Montagne», 96 pages (Gallimard). Lu l'ouvrage, captivant, il dit tout sur l'amour d'un homme pour son pays à partir d'un souvenir vif, poignant, torturant, le déchirement du départ, son nouveau pays d'accueil, des scènes pleines de douceur, de remords, de douleurs lancinantes et de mémoire ardente. Jean-Noël Pancrazi revient sur un deuil, occulté depuis plus de 50 ans. L'histoire se déroule dans un petit village des Aurès, un après-midi de juin 1962, les enfants jouent dans la cour de la minoterie où le père du narrateur travaille comme aide-comptable, le chauffeur fait la sieste, son frère prend la camionnette et propose aux enfants une promenade en montagne proche, dont la visite est défendue à cause des événements. Seul l'auteur, 8 ans, refuse d'y aller, occupé qu'il était dans un silo à grains. Tard, le soir, on retrouvera tous les six enfants égorgés, le garçon, par oubli, n'a pas signalé leur absence, l'auteur le regrette encore. L'enfant et sa mère partent en France, Perpignan, le lycée, les déplacements, nouveaux territoires, perte de repères, mais la scène de ses amis égorgés revient comme un visiteur de la nuit. Le père, sur conseil de la propriétaire, reste dans le pays pour garder la minoterie, pas pour longtemps, il arrivera à Paris, rencontre son employeuse, salon fastueux, déception et humiliation. Le garçon Jean-Noël Pancrazi n'oublie pas, il nous restitue les événements avec émotion. Pas de leçon de morale, pas de gentils ni de méchants. La vie comme elle va, avec ses douleurs et ses blessures. *********** Samedi 7 avril 2012, rencontre avec l'auteur dans le cadre de Al kalimat, Lecture à voix haute (6/7/8 avril), chaleureux à souhait, on se revoit le soir au théâtre. Il nous apprend qu'il n'est jamais retourné en Algérie. Et nous conseille vivement la lecture de son récent récit « La Montagne ». Au détour de la conversation, il nous pose une curieuse question, nous qui le connaissions à peine – Tu crois que je dois revenir voir mon village natal ? Réponse naturelle : - Qu'est-ce qui t'en empêche ? — J'ai peur d'y retourner, conclut-il, à notre surprise. Sur le plateau de Bibliothèque Médicis, il donne une partie de la bonne réponse : « L'Algérie reste pour moi le trésor imaginaire». Autrement dit, une matière à romans.