Par Khaled TEBOURBI Promis, dû : l'opération «sauvetage» des droits d'auteur annoncée par le nouveau ministre de la Culture à été lancée lundi dernier, avec le démarrage des journées de sensibilisation autour de la propriété intellectuelle et artistique, à Tunis pour commencer, puis, jusqu'à samedi 29 mars, à Sfax, au Kef, l'Ariana et La Manouba. La formule «sauvetage» n'est pas excessive, s'agissant des droits d'auteur en Tunisie. La question reste pratiquement sans «issue» depuis l'accès du pays à l'indépendance. Et elle se complique au fil des décennies, notamment depuis l'avènement d'internet. Pour être simple, les créateurs, partout dans le monde, sont rémunérés en reconnaissance et en contrepartie des œuvres qu'ils offrent à l'humanité. Ce droit a cinquante années d'existence et il est transmissible aux héritiers. La règle, universellement consacrée, a cependant beaucoup de mal à s'appliquer sous nos cieux. Voire, nombre de responsables se sont relayés, des textes de loi sont successivement entrés en vigueur, des organismes de gestion collective sont mis en place et des conventions internationales sont ratifiées, sans que nos artistes (des générations entières) n'aient pu récupérer quoi que ce fut d'équitable ou de digne. Plus grave, sans que les fraudeurs et les «pirateurs» n'aient été vraiment stoppés dans leurs exactions. Un rapport de la Cisac (Confédération internationale des sociétés d'auteurs et compositeurs, basée à Paris), datant de juin 2013, mentionne ceci : 0,6% seulement des droits d'auteur sont servis en Afrique. Le pourcentage tunisien doit être inférieur, témoignage unanime des intéressés. Alors pourquoi? Pourquoi la protection fonctionne-t-elle à merveille dans les pays du Nord, et pourquoi reste-t-elle «lettre morte», de ce côté-ci de la planète, et tout spécialement en Tunisie? Il y a la réponse que nous donnons à chaque fois : nous disons que les lois qui existent : la loi de février 1994, décret 2013-2860 créant l'Otdav (Organisme tunisien des droits d'auteur et des droits voisins), excellents textes, couvrant tout, prévoyant la quasi-totalité des situations, restent (hélas) telles des «coquilles vides», sans effet, franchement inappliquées. La Cisac propose, elle, une autre explication. Elle dit dans son rapport que «l'inapplication est une conséquence, pas une cause». La conséquence, d'abord (sûrement) d'un laxisme des autorités culturelles en Afrique. Vrai, mais en partie. Les marchés culturels et artistiques africains, tunisiens (à plus forte raison) ont leurs «particularismes». Ils ne dépendent pas forcément du seul interventionnisme des Etats. Les vraies raisons (les vraies causes), affirme le rapport, résident «dans le manque de formation des sociétés chargées de la protection des droits d'auteur, et dans l'absence de «mécanismes efficaces et appropriés». Dans le cas de la Tunisie, il est facile de conclure à la première thèse: ni la Sodact, ni celles qui l'ont précédée depuis les années 60 ne semblent avoir été suffisamment outillées pour pouvoir mener à bien leur tâche. Le dilettantisme a sévi un peu sur tous les chapitres, depuis le contrôle, jusqu'au suivi et aux sanctions. Le «non-respect» des droits d'auteur étrangers, alors que nous sommes signataires de conventions internationales dûment établies, nous coûte surtout, à ce jour, d'être sous le coup d'un fort possible (et terrible) endettement. Mais parler «d'absence de mécanismes», nous concerne, peut-être même plus que tout autre facteur. Le nouveau ministre de la Culture a proposé des «journées de sensibilisation». C'en est bien un, malgré tout. La culture des droits d'auteur n'est toujours pas enracinée dans nos esprits. A part leur aspect éthique et leur valeur d'équité, les droits d'auteur, si l'on y regarde bien, servent les intérêts de tous les opérateurs des arts et de la culture. Si les créateurs sont justement rémunérés, les diffuseurs et les distributeurs ne peuvent qu'en tirer profit, les marchés de même. La chaîne prospère quand il n'y manque aucun maillon. C'est à cela qu'il faut être sensibilisé. Les contrôles et les sanctions peuvent ne pas être nécessaires si cet objectif est, ne serait-ce que partiellement, atteint. «La méthode répressive» est d'ailleurs de plus en plus sujette à doute. Le piratage a pris une telle proportion et acquis de tels procédés qu'il est devenu quasiment difficile à contrer. On s'interroge ici et là si les nouveaux rapports de force et les infinies modalités de la mondialisation ne vont pas obliger toutes les parties prenantes, auteurs, diffuseurs, producteurs, promoteurs, restaurateurs, acteurs, exécuteurs, vendeurs, etc. à se mettre autour d'une même table... pour négocier. L'affrontement ne mène plus à rien. Honnêtement.