Par Abdelhamid Gmati Emoi et inquiétudes, cette semaine, quant à la situation économique du pays. Certes, on savait que l'économie ne se portait pas bien et plusieurs voix ont agité la sonnette d'alarme ; mais on leur avait opposé des propos lénifiants, en dépit des réalités. Mais là, c'est le Premier ministre lui même qui est monté au créneau pour dire ses préoccupations et son inquiétude. Prenant le relais du porte-parole du gouvernement, Mehdi Jomaa a confirmé les difficultés du gouvernement à honorer le paiement des salaires des fonctionnaires. Il a précisé à ce propos que « l'Etat s'est trouvé contraint d'emprunter 350 millions de dinars pour payer les salaires du mois d'avril ». Et il a incité les Tunisiens à « prendre conscience du fait que la situation est délicate ». Certes, l'émission de l'emprunt obligataire « est imminente, mais elle ne résoudra pas le problème dans sa totalité ». Plusieurs acteurs et experts économiques ont estimé que les déclarations des responsables gouvernementaux sont « exagérées et alarmistes ». L'un d'entre eux précise que « nous ne pouvons pas parler d'incapacité de l'Etat à payer les salaires de ses fonctionnaires octroyés en monnaie nationale, d'autant que, dans les cas extrêmes, l'Etat pourrait avoir recours à un emprunt auprès de la Banque centrale de Tunisie (BCT) en dépit de l'impact d'un tel choix sur l'inflation». Karim Trabelsi, expert auprès du département des études, relevant de l'Ugtt, a dénoncé un « discours alarmiste » dont l'objectif est de «contrecarrer les revendications sociales et d'intimider la principale organisation syndicale... Le problème auquel nous faisons face actuellement est un problème de liquidités et non pas de solvabilité... de telles inquiétudes n'ont pas de raison d'être, d'autant que les ressources fiscales (taxes, redevances etc.) constituent 70% des recettes budgétaires ». Et il affirme que « le discours alarmiste » a fait son apparition quand des voix se sont élevées pour réclamer des négociations sur des augmentations salariales dans le secteur public. Qu'est-ce à dire ? Dans quel intérêt le gouvernement tiendrait-il un discours « alarmiste », exagérant la réalité de la situation ? Une chose est sûre : la situation n'est pas rose et les Tunisiens le constatent tous les jours. Rappelons qu'à sa première interview télévisée, il y a plus d'un mois, le chef du gouvernement avait qualifié la situation économique de « pire que ce qu'il imaginait», évoquant un plan d'austérité, précisant que la Tunisie « a besoin d'emprunter pour couvrir les besoins de consommation courante». Ses déclarations de cette semaine, étayées de quelques chiffres, vont dans ce sens, désirant dégager la responsabilité de son gouvernement de la situation actuelle. Ceci est à rapprocher des précisions données, cette semaine, par Moez Joudi, économiste et expert en finances, qui affirme que « 30 milliards de dinars ont été dilapidés des caisses de l'Etat durant la période où la Troïka, l'ancienne coalition dominée par Ennahdha, était au pouvoir », invitant l'actuel chef du gouvernement provisoire Mehdi Jomâa à le signaler, et à dire toute la vérité sur la situation économique dans le pays, allant même jusqu'à le prier de poursuivre en justice pour malversation les gouvernements précédents. L'autre objectif visé a été défini par le Premier ministre lui-même lorsqu'il a affirmé que « le seul moyen de s'en sortir est de travailler », invitant les Tunisiens « à faire des sacrifices ». Cette « invitation » concerne les syndicats et les travailleurs qui devraient mettre en sourdine leurs revendications et cesser les grèves répétées qui handicapent les productions nationales (telles que celle des phosphates) et privent l'Etat d'une partie importante de ses ressources. Sont aussi, indirectement, dénoncés les mouvements dans des régions comme Ben Guerdane ou Tataouine, qui, sous couvert de revendications légitimes, sont «chapeautés et provoqués par des parties politiques cherchant à semer le désordre et le chaos », comme l'a spécifié, il y a quelques jours, le gouverneur de la région. De son côté, l'Ugtt a réagi aux propos du Premier ministre affirmant ne pas vouloir « être la seule à faire des sacrifices ». Certes, le chef du gouvernement a assuré que l'Etat protégera les catégories défavorisées. Mais il se trouve que même la « fameuse » classe moyenne souffre de la situation et tous les Tunisiens déplorent la détérioration de leur pouvoir d'achat. Tous ? Il serait approprié que le gouvernement, la présidence de la République, les députés ainsi que les chefs d'entreprise réduisent leurs dépenses, voire leurs avantages. Quand on demande au peuple de faire des sacrifices, il faut commencer par donner l'exemple. Histoire de motiver tout le monde.