A la galerie Gorgi, Imed Jemaïel expose... C'est un évènement en soi, puisque c'est la première exposition personnelle que cet enseignant de l'Ecole des beaux-arts dévoile au public, malgré un long parcours de plasticien et d'académicien. Dès qu'on franchit le seuil de la galerie, on est envahi par l'écrit, des œuvres de plus de deux mètres sur un mètre et demi qui nous plongent dans l'univers scriptural du peintre. Imed Jemaïel est un dévoreur de livres... Imed Jemaïel est aussi un amoureux de l'écrit et ça se voit. La surface plane de la toile est habitée par le tracé, une écriture s'y dégage en filigrane, suivant des lignes unidirectionnelles et des paragraphes bien serrés. Un corps d'un texte intense, soigneusement transcrit par un stylo chargé d'acrylique sur toile blanche ou sépia, rappelant manuscrits et parchemins. « Les dessous des ratures », c'est la dynamique d'un mouvement, c'est aussi le hors-champ d'une pensée, le tourbillon d'un dessin originel. On dit que l'écriture est le miroir de la personnalité, celui du vécu, de ce qu'on pense et de ce qu'on réfléchit : les ratures aussi ! Et Imed Jemaïel assume son bouillonnement intellectuel et revendique l'écriture comme degré zéro de son œuvre plastique. Son approche scripto-plastique, via le trait s'approchant du signe ou graphe, à la recherche d'autres dispositifs d'écriture retraçant la trajectoire d'une réflexion et d'une pensée, est faite de lignes, de masses de blanc, de signes qui suivent la charpente du texte et parfois s'en échappent. Des espaces denses, des mots qui se suivent, d'où se dégagent des formes, le tout sublimé par des couleurs vives — vert, orange, rouge, bleu et jaune — comme si elles détenaient la clé d'un mystérieux message, qui relèverait du sacré. Le côté outsider de Imed Jemaïel est aussi détectable dans les petits et moyens formats ( A3 et A4) : il procède par concentration de la matière plastique sur la toile, en réservant une marge qui s'apparenterait à un espace cadre pour, enfin, transgresser cette bordure et l'exploiter comme surface d'écrit, donnant naissance à des alinéas à orientations diverses et qui débordent sur l'espace toile pour atteindre les rebords et donner à l'œuvre un aspect bidimensionnel. Les dessous des ratures, comme les dessous des cartes, rendent l'invisible visible et l'écrit renvoie à la pensée, comme une révélation de l'esprit humain où la réflexion s'associe à l'intérêt plastique, à une démarche associée à un savoir-faire, une énergie scripturale donnant un sens à une vision du monde, de l'œuvre et de soi.