« Rien ne me réjouit autant qu'une fleur qui pousse sur une tombe. » Sur la tienne, poussent mille étoiles, tellement ton œuvre est dense et les traces de ta vie multiples. Aucun hommage ne saurait être à la hauteur d'un tel génie, aucune exposition ne pourrait montrer les nombreux talents de Messaâdi. Evidemment, il y a l'hommage pictural de tous ses amis peintres qui se sont ingéniés à brosser le portrait de celui qui traversa le siècle et l'histoire du pays. Evidemment, il y a le parcours de l'homme politique, celui qui lutta, d'abord, contre le colonialisme, puis contre l'analphabétisme et l'ignorance, celui qui créa le Ministère de l'Education Nationale, celui qui sillonna le monde pour défendre le pays et la pensée. Il y a également, le militant syndicaliste, compagnon de Hached qui fut de toutes les manifestations. Il y a les amitiés avec les leaders politiques de tout bord, de Bourguiba à Boumediene, à Mitterrand. Et il y a sa vie privée et intime : des photographies en noir et blanc, agrandies pour les besoins de l'exposition, d'une beauté saisissante qui figent les instants fugaces d'une vie d'une richesse inouïe : les voyages au bout du monde, la sérénité d'un paysage enneigé, lui, heureux avec sa femme, toujours présente. Le temps du partage avec ses amis et intimes, détendus et souriants, le temps des « copains d'abord », des flambées de joie et des amitiés tenaces. Que se disaient-ils, ces créateurs, écrivains, poètes, peintres, militants ? Gênés, nous nous sentons un peu voyeurs, curieux, presque étonnés par tant de belle complicité à un moment où une profusion d'artistes s'appréciait. Nous imaginons des conversations infinies et denses, des moments d'hilarité et de grand sérieux, le bonheur de vivre un instant unique. Il y a des dessinateurs qui ont illustré des extraits de ses écrits, à la manière de Cocteau. Quelques manuscrits témoignent du travail ardu du créateur, de ses hésitations, du fil de sa pensée. Des ratures sur une page jaunie la transforment en une œuvre d'art. Une calligraphie d'une finesse et d'une élégance aériennes, l'écriture se déroule en arabesques, brode des dentelles sur toute la surface de la page. La réécriture se fait d'une encre de couleur différente. Parfois, le mot jouxte sa traduction dans une autre langue, le synonyme raturé est toujours visible comme si plusieurs textes se mariaient, s'enrichissant l'un l'autre. Nous assistons à l'accouchement douloureux et fascinant de l'écriture. Nous voyons la main frissonner sur la page blanche, tournoyer, danser, poser son empreinte créatrice et s'envoler pour un autre bal des signes.