Trois ans après la révolution, l'Ugtt, l'UTT et la CGT se regardent toujours en chiens de faïence Le pluralisme syndical, revendication longtemps étouffée par le régime déchu, est-il parti du mauvais pied ? Les deux organisations syndicales, l'Union des travailleurs de Tunisie, dirigée par Ismaïl Sahbani, et la Confédération générale du travail, animée par Habib Guiza, qui sont venues concurrencer l'Ugtt après la révolution du 14 janvier ont-elles réussi à apporter le plus escompté et à introduire dans la vie syndicale la diversité tant attendue ? Comment les gouvernements qui ont géré le pays ces dernières années se sont-ils comportés ou ont-ils traité avec les trois organisations syndicales ouvrières présentes sur la scène nationale : l'Ugtt, la CGT et l'UTT? Ces interrogations sont d'autant plus légitimes que les avis divergent quant à l'évaluation de la pluralité syndicale dans la mesure où l'on est en présence de deux principales approches. La première considère que l'Ugtt demeure indéboulonnable en dépit de toutes «les tentatives politiciennes cherchant à limiter sa présence et son poids sur la scène syndicale et le Dialogue national a démontré qu'elle reste la force sociale n°1 du pays, pour ne pas dire le parti politique le plus influent auquel adhèrent tous les Tunisiens, y compris ceux qui tentent de le supplanter, mais finissent toujours par y retourner». La deuxième est soutenue par les partisans de l'UTT et la CGT qui considèrent que les gouvernements de la Troïka I et II et de Mehdi Jomâa ignorent «notre présence sur la scène syndicale nationale et se comportent comme si les milliers de travailleurs qui adhèrent à nos organisations n'avaient aucun poids et ne méritent pas que leurs représentants soient écoutés». Nous irons au Bureau international du travail Abdelaziz Jaïdi, secrétaire général adjoint de l'Union des travailleurs de Tunisie (UTT), chargé du règlement intérieur, n'y va pas par quatre chemins en confiant à La Presse : «Notre patience face aux atermoiements des différents gouvernements ayant géré le pays depuis la révolution est épuisée. Nous avons déposé une plainte auprès du Bureau international du travail lui demandant d'obliger le gouvernement à traiter avec l'UTT qui dispose actuellement de 130 mille adhérents, de 22 unions régionales à travers le pays (à l'exception du Kef et de Mahdia) et qui est présente dans les secteurs du transport, du textile, des sociétés régionales de transport, plus particulièrement dans le sud du pays, et des municipalités». Le SG de l'Ugtt ajoute : «Nous avons déposé une plainte auprès du Tribunal administratif demandant à ce que le gouvernement ordonne en notre faveur la retenue à la source sur les salaires de nos adhérents. Notre attachement à la consécration effective de la pluralité syndicale procède de notre conviction que les travailleurs ont le droit de choisir librement l'organisation syndicale qu'ils estiment la plus habilitée à défendre leurs intérêts et que personne n'est en mesure de leur imposer quoi que ce soit». Un faux départ Mokhtar Hili, secrétaire général de la Fédération générale du transport relevant de l'Ugtt, produit un autre discours. «Malheureusement, soutient-il, la pluralité syndicale a pris un mauvais départ puisque les adhésions aux organisations faisant la concurrence à l'Ugtt ont été trafiquées au point que des milliers de travailleurs (3 à 4 mille) se trouvent aujourd'hui dans une situation le moins qu'on puisse dire étrange: les entreprises les employant retiennent sur leurs salaires les cotisations et les versent à trois syndicats, l'Ugtt, la CGT et l'UTT. Et en dépit de leurs protestations, cette pratique se poursuit toujours», révèle-t-il. «Ce trafic et ces pratiques illicites ont été largement encouragés par les deux gouvernements de la Troïka qui voulaient saboter l'Ugtt et l'affaiblir. Le ministère des Affaires sociales, censé régler la situation, tergiverse toujours et ne sait pas comment arrêter ces pratiques», fait-il remarquer.