Par Slaheddine Ben Mbarek Bourguiba aurait-il pu faire admettre la loi sur le CSP s'il avait attendu quelques années de plus ? Le bilan des ‘'cent jours'' est globalement satisfaisant, voire bien apprécié par l'opinion publique. Car il ne suffit pas d'agir et d'avancer, l'essentiel est de suivre la bonne direction. Il y a quelques décennies, on ironisait dans un pays voisin, récemment indépendant, sur le lapsus d'un haut responsable qui se félicitait « de ce que son pays, après avoir été au bord du gouffre, avait fait de grands pas en avant » M. Jomâa a jusqu'à présent laissé le gouffre derrière lui, aidé par un consensus politique, critique certes, mais fondé sur une feuille de route précise. Force est cependant de regretter que la marche ne fût pas plus rapide sur certains chemins. Des réformes —les moins faciles— auraient pu mieux passer en début de période. Bourguiba aurait–il pu faire admettre la loi sur le CSP s'il avait attendu quelques années de plus ? Cela étant, qu'il me soit permis d'émettre quelques réflexions et suggestions, qui ont été en partie présentées, mais qui méritent d'être soulignées davantage : Les urgences économiques et sociales : Je voudrais simplement focaliser l'attention sur quelques urgences des plus lancinantes : Balance des paiements : La rationalisation des importations, déjà amorcée, s'impose, mais le plus important est de se concentrer sur le rétablissement des ressources en biens et services exportables ; en particulier, le tourisme, dont l'essor dépend de la sécurité, et le secteur des phosphates et dérivés, sinistré du fait des blocages et autres perturbations illégales. Une action persuasive s'impose dans ce secteur vital, avec obligation de résultat. Caisse de compensation : La plupart des responsables et analystes conviennent de la nécessité et de l'urgence de s'attaquer à cette hydre de Lerne, et ce par étalement des réajustements sur le moyen terme, avec prise en compte des effets attendus sur les salaires. Ce n'est pas nouveau : déjà en 1979 (bien avant la révolte du pain) sous le gouvernement Nouira, nous avions décidé d'un plan de réajustement à moyen terme. On connaît la suite 5 ans après ! « Le tout ou rien » s'est imposé, hélas ! A tel point que, depuis plusieurs années, le consommateur paie la baguette 10 millimes de plus que le prix légal, mais au profit de la caisse de l'épicier ou du boulanger (lequel n'a jamais la monnaie, même pour 3 ou 4 baguettes achetées !) Autre remarque : ne jamais oublier que l'augmentation des prix des céréales et autres n'affecte pas seulement le budget des salariés, mais aussi des artisans, des employés occasionnels, des chômeurs... Commerce parallèle : Même démarche à l'encontre de cette autre hydre : progressivité du contrôle, assèchement ou réduction des sources d'approvisionnement, et insertion progressive dans les circuits légaux. Communication et dialogue : Le gouvernement Jomâa avance bien dans cette voie. Il faut, à mon avis, continuer et surtout adapter les outils de la communication, par exemple : adopter un langage clair, compréhensible par toute la population, expliquer que la — ou les solutions — préconisée est la moins mauvaise par rapport à toute autre alternative crédible, à moins qu'on ne fasse marche arrière vers le gouffre enfin rappeler que le FMI n'intervient que pour aider les pays membres en difficulté, évidemment à des conditions qui éviteraient le retour à la phase départ. Même démarche dans le dialogue avec les partis, dont certains rechignent à s'exprimer ouvertement sur la nécessaire «potion amère», même à dose réduite. Les élections sont en effet proches. Economies budgétaires : Il est évident que la démarche retenue par le gouvernement serait mieux comprise si elle était accompagnée par une réduction sensible du « train de vie » de l'Etat et des institutions financées par l'argent des contribuables. Le Conseil des ministres vient de s'engager dans cette voie, mais il reste encore bien d'autres mesures à prendre : pléthore de conseillers à hauts salaires, prolifération de voyages long et moyen-courriers, souvent peu justifiables (excepté ceux de M. Jomâa). A ce titre, nous sommes peut-être le pays dont les hauts dirigeants répondent à presque toutes les invitations ! Toutes ces mesures ne sont sans doute pas décisives, mais elles ont valeur d'exemple et de symbole. Ce n'est pas peu dans notre société à tendance égalitariste. Le court et le moyens termes : Il faut continuer à souligner que les mesures d'urgence doivent se situer dans une perspective à court et moyen termes, qui seront présentées dans le cadre du traditionnel Plan de développement. Car, écrivait le philosophe latin Sénèque : «A celui qui ne sait vers quel port se diriger, il n'y a point de vent favorable».