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Sénèque, ou le choix de la sagesse
Figures et concepts
Publié dans La Presse de Tunisie le 06 - 07 - 2012

Auguste, qui est le premier empereur romain, eut un règne que même les partisans de la République, malgré le goût de la défaite qu'ils gardaient dans la bouche, ont eu du mal à trouver mauvais. Il faut dire qu'il ramenait la paix et la sécurité après une longue période de guerres intestines et que, d'un autre côté, par sa conduite de vie, qui le maintenait à l'écart de tout excès, il avait su rallier à lui la sympathie populaire. Mais dès la fin de son règne commence une période incertaine, où les conspirations et les assassinats sont presque la règle parmi les postulants à la succession. De plus, le principe monarchique du gouvernement, réponse aux rivalités meurtrières et à leurs développements militaires à la fin de la période républicaine, révèle un visage hideux: Caligula, le troisième empereur, sombre dans une sorte de folie, livrant l'empire à ses démons... Seul son assassinat mettra un terme à l'épouvante. Puis, après un intermède relativement plus calme, celui de Claude, voilà le fameux Néron qui arrive : un empereur qui prend les rênes du pouvoir dès l'âge de 17 ans. Ses débuts, en fait, sont plutôt prometteurs. Il gouverne les premières années en accordant de larges prérogatives au sénat, sous le conseil avisé d'un ancien préfet du prétoire, un certain Burrus... Mais aussi d'un ancien conseiller qui avait proposé ses services sous Caligula et qui s'était fait connaître comme philosophe : Sénèque ! Toutefois, dès que ces deux personnages qui lui servaient de guides disparaissent de son entourage, il adopte une vie d'artiste plutôt déréglée, tout en menant des procès politiques contre tous ceux qu'il accuse de «lèse-majesté»... Tout cela prend ensuite une tournure tragique, avec la multiplication des assassinats... Est-il pris de folie au point de mettre le feu à la ville de Rome, comme on le dit? C'est, en tout cas, ce dont la population va l'accuser, tant il donne de lui-même l'image d'un gouvernant fantasque, imprévisible et violent.
Début d'empire et vide religieux
Cette dérive du pouvoir impérial dans une forme ou une autre de folie crée en réalité une sourde inquiétude parmi les sujets de l'empire, comme s'il s'agissait d'un sombre et sinistre présage. Une sourde inquiétude et, dans le même temps, un vide religieux ! Pourquoi un vide religieux ? Parce que la suprématie romaine à travers l'ensemble du monde méditerranéen a comme éclipsé le prestige des religions locales. Elle a de plus créé un espace de coexistence de ces traditions anciennes : espace à l'intérieur duquel ces traditions font l'épreuve de leur relativité les unes par rapport aux autres. Il n'est pas du tout indifférent, en effet, que l'adepte d'une religion vive en étant baigné dans l'univers religieux de ses ancêtres, n'ayant vent de ce qui se passe sous d'autres cieux que par ouï-dire ou que, à l'inverse, il se retrouve dans un espace où il a quotidiennement affaire à des gens qui portent en eux d'autres croyances et d'autres pratiques et qui jettent sur sa propre religion un regard d'étonnement et de curiosité. C'est un fait en tout cas que l'empire romain a favorisé les brassages humains et que cela a créé un contexte nouveau, qui a beaucoup affaibli l'autorité des anciennes divinités à travers les contrées.
C'est ce contexte, très certainement, qui va servir de terrain propice à la diffusion de la religion chrétienne : le besoin existe d'une religion nouvelle. L'époque de Claude et de Néron est d'ailleurs celle au cours de laquelle se met en place la première vague de missionnaires avec, comme figure de proue, Paul de Tarse. Nous sommes entre les années 40 et 60...
Le bonheur du sage
Il faut, cependant, savoir que le christianisme a un concurrent : il n'est pas seul à tenter de combler le vide religieux. Pas seul non plus à chercher à apporter une réponse à cette crainte souterraine et aux sombres pressentiments des habitants. Sauf qu'il ne s'agit pas à proprement parler d'une religion, mais plutôt d'une sagesse, ancrée elle-même dans la tradition philosophique.
Le stoïcisme, qui connaîtra un destin romain à travers de nombreuses figures, dont celle d'un empereur – Marc-Aurèle (161-180) –, est à l'origine une invention grecque. Celui qui en jette les bases est un certain Zénon de Cition, d'origine phénicienne, qui vit au début de la période hellénistique (335 – 261 av. J-C).
La définition stoïcienne du bonheur éclaire la doctrine. Elle repose sur la connaissance de son propre destin et sur son acceptation, si «inconfortable» qu'il soit. A l'inverse, le malheur consiste à vouloir fuir son destin : entreprise désespérée qui se traduit par une course derrière l'ombre d'un bonheur que l'on prend pour le bonheur lui-même... C'est qu'il existe dans le monde un enchaînement causal des événements dans lequel s'insère l'existence de chaque homme et qui, pour ainsi dire, détermine le profil de son destin particulier. Il est donc inutile de chercher à se dérober aux liens de la nécessité... Pour cette raison, la morale stoïcienne prône la retenue, l'ascétisme même, et rejette, du côté de la « folie », du côté des comportements insensés, et ignorants, toute attitude qui, en tournant le dos à son propre destin, se préoccupe de satisfaire sa soif de plaisirs et sa concupiscence... Encore une fois : le bonheur ne réside pas tant dans la nature du lot qui nous est imparti que dans la façon dont on le reçoit et dont on se l'approprie. Ce qui fait que le pire lot, le plus tragique, laisse toujours place au bonheur, dès lors que ce lot est accepté volontiers comme l'expression de la nécessité universelle, dès lors, qu'à travers son destin assumé, l'homme accède au rang d'acteur volontaire de la marche du monde, de cette vaste et harmonieuse procession des êtres telle que voulue par Dieu, le grand ordonnateur...
Christianisme vs stoïcisme
On voit assez clairement par-là que le stoïcisme représente une pensée qui peut servir de refuge face à la folie qui s'empare de l'empire par son sommet : tout ce jeu de convoitises et de cupidités désordonnées qui s'offre en spectacle inquiétant et qui, sans doute, n'épargne pas le reste de la pyramide !
Sénèque, nous l'avons dit, a été le mentor de Néron dans ses premières années de règne. C'était aussi un sage stoïcien qui a laissé à la postérité plusieurs livres : en dehors de ses fameuses Lettres à Lucilius, il a écrit sur la vie heureuse, sur la tranquillité de l'âme, sur la colère et la façon de la vaincre, sur la superstition aussi et la manière de s'en émanciper... Son livre sur ce dernier sujet est perdu, mais on sait qu'il existe par les références nombreuses des autres auteurs, et notamment d'auteurs chrétiens, comme saint Augustin, qui s'en sont inspirés dans leur critique du polythéisme... Ce qui veut bien dire que, par-delà leurs différences et leur concurrence, stoïcisme et christianisme se rejoignent sur certains points. Toutefois, il semble à ce propos que Sénèque ait été, de tous les Stoïciens, celui dont la pensée a été la plus proche des thèmes chrétiens, au point que certains sont allés suggérer qu'il entretenait des liens discrets avec les missionnaires de la nouvelle religion, et en particulier avec saint Paul... En fait, il n'y a rien de nouveau dans la position de Sénèque par rapport à ses prédécesseurs stoïciens, si ce n'est que son propos s'accorde à l'époque, à ses attentes et peut-être à ses aversions à l'égard de l'opulence et de l'intempérance. Et qu'il y veille en y mettant une attention particulière. Que ce thème soit aussi celui que développent les missionnaires chrétiens pour éveiller les esprits à la «bonne nouvelle» (evangelos) – qu'un «Sauveur est né» – cela ne signifie pas que Sénèque se soit rallié à la doctrine chrétienne, mais seulement qu'une exigence commune s'exprime chez les uns et les autres...
Le Dieu de Sénèque
Il est bien question aussi, chez notre philosophe, d'un «Dieu» qu'il appelle ailleurs la Providence et en qui il reconnaît aussi une vocation à la bienveillance : c'est ce qu'il explique au jeune Lucilius, en soulignant que Dieu est capable d'avoir le souci de l'homme particulier, et pas seulement celui des hommes en général... Mais, par ailleurs, Sénèque utilise aussi le mot «dieux» au pluriel, dans un sens équivalent. L'unicité n'est donc qu'une option, peut-on dire. D'autre part, qu'elle soit au pluriel ou au singulier, la divinité se confond chez lui avec le destin s'accomplissant : aimer Dieu, comme il y enjoint, n'est pas autre chose que recevoir avec enthousiasme le jour d'aujourd'hui sans ce caprice d'enfant qui consiste à vouloir y changer ceci ou cela... Nulle apparition cachée, nulle parole révélée, nulle alliance scellée, nulle expérience possible de la trahison, ni de la réconciliation, et nul amour qui s'embrase dans le dialogue...
Le Dieu de Sénèque ne s'émeut pas aux prières qu'on lui adresse, pas plus que le Dieu des Chrétiens n'est aimé en raison du bon ordre qu'il fait régner dans le monde: aussi proches que les deux expériences peuvent devenir, elles ne comblent pas une différence, qui est un gouffre !
Est-ce parce que le Dieu monothéiste des Chrétiens porte visage humain ? Est-ce parce que celui de Sénèque et des Stoïciens n'a de sens que pour une élite d'hommes capable d'envisager le monde comme un tout, dont le mouvement obéit à une volonté, y compris dans la moindre de ses parties? Les habitants de l'empire, sentant le sol religieux s'ébranler sous leurs pieds, vont faire leur choix, et ce choix ira pour le Dieu des Chrétiens !
Quant à Sénèque, il eut, pour quitter la scène, un choix à faire qui a valeur de testament : sommé par Néron de mettre un terme à ses jours, et considérant que cela équivalait à un arrêt du destin, il s'y employa avec le même sérieux dont il fait preuve pour rédiger un aphorisme : «Tout ce que la constitution de l'univers nous astreint à souffrir, endurons-le en faisant preuve de grandeur d'âme».


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