A one man révolution, disait-on, dans un désir de plaire au putschiste, dans les colonnes de La Presse, du coup d'Etat, fût-il médical, du 7 novembre 1987. On connaît la suite de l'acquiescement unanimiste à ce putsch immaculé : vingt-trois ans de septnovembrisure de la Tunisie sous le règne d'une branche bâtarde de la famille destourienne, et aux ramifications dignes de l'Hydre de Lerne, ce serpent aux 7 têtes qui, tranchées, repoussent. Malgré le succès, euphorique, à sortir le tyran et consorts de leurs repaires de bandits, le travail d'Hercule des révoltés de la halfa, accompli au prix de vies par nature irremplaçables, n'est en effet pas au bout de ses peines. Alors que s'éternise l'attente de garanties de la pérennité de l'émancipation des gouvernés de leurs gouvernants, deux principaux obstacles se dressent devant cet objectif d'autonomie, puis d'indépendance des citoyens par rapport à leur tutelle gouvernante. Le premier écueil est de l'ordre du discours. Force gens, tunisologues plus avertis les uns que les autres, au pays comme à l'étranger, soutiennent, aujourd'hui encore, que le putsch septnovembriste était accompagné de promesses de démocratisation, qui auraient été ensuite trahies. En réalité, il n'en était rien, bien au contraire. La trop fameuse déclaration radiophonique de ce matin-là gris d'automne reconnaissait certes au peuple tunisien un degré de maturité lui permettant de gérer lui-même ses propres affaires. Mais elle érigeait tout d'abord l'amour de la patrie en devoir sacré pour tous les citoyens, avant d'appeler à la participation constructive des organisations de masse à la vie politique, et cela, très précisément, dans le cadre de l'ordre et de la discipline ! Cette duplicité laissait clairement transparaître une visée de démocratie casernée conjuguée avec une tentation totalitaire. Que, principalement du fait du non renouvellement du personnel politique depuis si longtemps, tant au pouvoir que dans l'opposition, des mécanismes de défense d'intérêts particuliers persistent, de nos jours, à fermer les yeux sur ces évidences, comme s'il s'agissait d'un détail insignifiant où pourtant se niche le signifiant, cela augure mal de la confiance, principale réclamation des Tunisiens et des Tunisiennes pour accepter volontiers que le pays avance pas à pas en direction d'une sortie de crise politique, économique et sociale, mais aussi institutionnelle. Un deuxième écueil a trait à la méthode employée pour satisfaire les doléances exprimées lors de cette révolte. Naguère, le nouveau potentat rusa pour donner du lustre à la suppression de l'amendement instituant une présidence à vie pourtant caduque de fait en raison de la destitution de son seul et unique bénéficiaire. Il en profita pour instaurer que, non pas un, c'est-à-dire lui ou un autre, mais que le président allait à l'avenir être rééligible deux fois consécutives, autrement dit que, personne ne voulait alors s'y attarder, il s'annonçait chef de l'Etat pour une bonne quinzaine d'années. Et, pour asseoir et blanchir son pouvoir lors de son plébiscite d'avril 1989, il s'octroya un délai inconstitutionnel d'environ un an et demi, avec l'accord de l'ensemble des notables de la politique, qui ne représentaient cependant qu'eux-mêmes. Et aujourd'hui, qu'en est-il ? Tout porte à croire qu'un contournement similaire de la Constitution ne permette de reporter à plus tard, sous couvert de motifs autant divers que variés, la date constitutionnellement fatidique du 15 mars pour l'organisation de l'élection présidentielle. Inconscience ? Est-on donc si sûr que les Tunisiens et les Tunisiennes lisent aussi mal leur loi qu'auparavant pour reproduire un schéma désuet et aux implications pratiques potentiellement dramatiques, voire tragiques ? A cet égard, l'immaturité ne semble pas du côté que l'on croit. En fait, le risque est immense d'une déception populaire aux conséquences aussi imprévisibles que le déclenchement de la révolte tunisienne. Pour autant, il n'y a pas lieu, ici, de douter de la bonne foi de ceux qui assument l'épreuve de cette période transitoire. A condition, toutefois, d'assumer dans le même temps que tenter d'en imposer avec des décrets-lois pris par un gouvernement dont la vocation est de conduire seulement les affaires courantes mais qui affirme néanmoins garantir ainsi une transition vers un régime libéral, c'est oublier qu'en l'absence de Parlement reconnu, et l'actuel ne l'est pas, la loi ne se décrète pas : il n'y a pas d'élus légitimes pour la ratifier. Est-ce à dire que le pays est dans une impasse ? Certainement pas. C'est plutôt exprimer l'urgence d'une réorientation significative, et du discours et de la méthode, vers une démarche qui prenne à présent en compte qu'une rupture de sang et de feu s'est produite en Tunisie. Il serait dès lors anachronique de priver, même partiellement, les Tunisiens et les Tunisiennes, quoi qu'on dise de leurs réclamations individuelles et collectives formulées parfois à tout bout de champ, de leur voix au chapitre : leur droit de donner leurs avis sur ce qui les concerne. Comment ? Place, maintenant, à un débat au sein d'une Assemblée constituante, qui garantisse, in fine, les libertés et l'égalité des citoyens devant la loi, quelles que soient leurs obédiences. Que cette entreprise de fondation, cette fois sur des bases solides, requiert des efforts herculéens ? La révolte tunisienne a prouvé qu'en la matière, les Tunisiens et les Tunisiennes, non seulement ne lésinent pas, ils ne plaisantent pas non plus avec l'essentiel ! Question de dignité. W.S. * Journaliste