Il ne manque plus qu'un militaire à la Kasbah    Budget 2026 : Issam Chouchene critique un document sans chiffres précis    Wissem Ben Ameur : avec Liberta, profitez du paiement à l'avance pour une expérience spirituelle unique lors de l'Omra    Réunion à Sfax pour la saison oléicole : Fatma Mseddi évoque le dossier du domaine Chaâl    Lunettes connectées OpenAI : une révolution IA attendue pour 2026    Caisses sociales – retard des délais de remboursement : les assurés sociaux lourdement pénalisés    De la « fin de l'histoire » à la « fin de la mémoire»    La production Epson alimentée à 100 % par de l'électricité renouvelable    LG Electronics remporte 100 prix de design en 2025    Le premier marathon de montagne « Ultra Boreas » à Bizerte    Championnats du monde d'haltérophilie en Norvège : les athlètes Ghofrane Belkhir et Aymen Bacha représentent la Tunisie    Conseil de la presse : annonce de la composition des commissions internes    Dr Mustapha Ben Jaafar - La reconnaissance de l'Etat de Palestine, étape décisive vers la paix au Moyen Orient    Perturbations climatiques attendues : l'observatoire de la sécurité routière appelle les automobilistes à la vigilance    Séisme de magnitude 3,2 dans le gouvernorat de Gafsa    Sousse–Tunis : Les voyageurs en colère après une semaine sans trains    Les Ciments de Bizerte : déficit cumulé reporté de plus de 230 millions de dinars à fin juin 2025    105 000 visas Schengen délivrés aux Tunisiens en 2024 avec un taux d'acceptation de 60 %    Alerte rouge pour les PME industrielles en Tunisie : la moitié menacée de disparition    La JSK terrassée par l'ESZ : La défense, un point si faible    Météo en Tunisie : pluies orageuses attendues l'après-midi sur plusieurs régions    Retrouvé en Libye après une semaine de terreur : le bateau de migrants tunisiens disparu    Ballon d'Or 2025 : à quelle heure et sur quelle chaîne voir la cérémonie    Clôture du festival du film de Bagdad: Le film tunisien « Soudan Ya Ghali » remporte le prix du meilleur documentaire    Grève générale en Italie contre l'agression à Gaza : « Que tout s'arrête... la Palestine dans le cœur »    Cybercriminalité : Le Ministère de l'Intérieur passe à l'offensive !    Pluies diluviennes en Espagne : un mort, transports aériens et ferroviaires paralysés    Météo du Lundi : Orages Locaux et Rafales Jusqu'à 80 km/h    Séisme de magnitude 4,8 frappe la mer Egée en Turquie    Hasna Jiballah plaide pour un accès facilité des sociétés communautaires au financement    Ordre des avocats : Sofiane Belhaj Mohamed élu président de la section de Tunis    Drogue au port de Radès : un cadre de la douane et une employée privée en garde à vue    Des drones signalés en Méditerranée au-dessus de la flottille Al Soumoud    Saint-Tropez sourit à Moez Echargui : titre en poche pour le Tunisien    Le ministre des Affaires Etrangères participe à la 80eme session de l'Assemblée Générale des Nations Unies à New York    Visas Schengen : la France promet des améliorations pour les Tunisiens    Incident sur le terrain : Gaith Elferni transporté à l'hôpital après un choc à la tête    Voguant vers Gaza, le député Mohamed Ali accuse ses détracteurs à Tunis de faire le jeu d'Israël    Tunis : huit mois de prison pour un gardien de parking illégal qui a agressé violemment un client    Le Royaume-Uni s'apprête à reconnaître l'Etat de Palestine    Moez Echargui en finale du Challenger de Saint-Tropez    Cinéma : Dorra Zarrouk et Mokhtar Ladjimi sous les projecteurs du Festival de Port-Saïd    La pièce de théâtre tunisienne « Faux » triomphe en Jordanie et remporte 3 prix majeurs    Youssef Belaïli absent : La raison dévoilée !    Sfax célèbre l'humour à l'hôtel ibis avec ibis Comedy Club    La Bibliothèque nationale de Tunisie accueille des fonds de personnalités Tunisiennes marquantes    Fadhel Jaziri: L'audace et la norme    Fadhel Jaziri - Abdelwahab Meddeb: Disparition de deux amis qui nous ont tant appris    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



«Les réparations ont faussé et politisé le débat sur la justice transitionnelle»
Entretien avec Kora Andrieu, experte en justice transitionnelle
Publié dans La Presse de Tunisie le 10 - 06 - 2014

Kora Andrieu est philosophe politique. Elle est l'auteur de «La justice transitionnelle, de l'Afrique du Sud au Rwanda» (Editions Gallimard). C'est en sa qualité d'experte associée au bureau du Haut-commissariat aux droits de l'Homme à Tunis qu'elle a suivi le processus de la justice transitionnelle en Tunisie.
Comment, à votre avis, peut-on définir le concept de justice transitionnelle ?
— Il s'agit de l'ensemble des mesures et mécanismes juridiques et autres par lesquels une société va faire face à son passé. Un passé lourd d'atteintes aux droits de l'Homme. Comment l'affronter ? Essentiellement par la recherche de la vérité, mais aussi la reddition des comptes, les réparations et les réformes des institutions. En faisant face à son passé, on contribue à promouvoir un avenir meilleur, c'est là où réside la particularité de la justice transititionnelle. Le Sud Africain Desmond Tutu disait : «On veut bien tourner la page, mais nous aimerions voir ce qui a été écrit dessus avant de le faire». Mais il ne faut pas se leurrer, le traitement du passé et la garantie de non-répétitions des violations peuvent prendre beaucoup de temps, ils se déroulent parfois sur des générations. D'autre part, il faut faire très attention avec le terme «réconciliation». On espère toujours que c'est sur quoi aboutira la justice transitionnelle. Or ce n'est point un objectif mesurable, ni direct. La réconciliation n'est pas non plus d'ordre politique, elle s'inspire de l'acte de pardonner et relève du registre privé. L'objectif le plus direct à mon sens réside dans la reconnaissance des souffrances et des violations passées. C'est ce qui permettra de rétablir la confiance des citoyens entre eux et des citoyens vis-à-vis de leurs institutions. L'assainissement fait partie de cette démarche.
Mais n'y a-t-il pas une dimension revancharde dans « l'assainissement», qui rappelle quelque part l'ancien projet de « loi d'immunisation de la révolution » soumis à l'ANC par le CPR ?
— Pas forcément. C'est vrai que le terme n'est pas très beau ! Il découle de l'idée de la «lustration» en Pologne. Les Polonais sont partis d'une démarche plutôt intéressante : ils invitent les candidats aux élections et tous ceux briguant un poste dans la fonction publique à remplir un formulaire sur leur collaboration ou pas avec la police politique de l'époque communiste. La déclaration est par la suite rendue publique. La collaboration n'entraîne pas de sanctions, on laisse aux citoyens la liberté de voter ou pas pour les personnes. C'est le mensonge qui condamne un candidat à une exclusion pendant dix ans du poste convoité. C'est une démarche plus inclusive que la loi de l'immunisation de la révolution, qui vole aux citoyens leur droit au choix. Par contre, dans l'assainissement, on punit le fait d'avoir menti sur son passé et non pas le passé lui-même. L'assainissement consolide le processus de la vérité et incarne une manière de vérifier l'intégrité et la compétence des candidats à des postes clés de la fonction publique, dans la magistrature, la sécurité, les médias...
La justice transitionnelle peut-elle apaiser les souffrances d'une société qui sort d'un système répressif et autoritaire vieux de plus de 55 ans ?
— La justice transitionnelle n'est pas une formule magique. Mais elle peut représenter un mécanisme pour regarder en face son passé. En Tunisie, nous remarquons, notamment lors de nos missions dans les régions, à l'intérieur du pays, une grande soif de dire parmi les victimes. Si l'Instance vérité et dignité pouvait offrir un forum à tous ceux qui portent cette soif de parole à cause de leurs souffrances liées au passé, cela permettrait d'apaiser pas mal de choses et de reconnaître la pluralité des mémoires. Mandela disait que les victimes étaient des voix, des voix qui ont été étouffées pendant plus de 50 ans. Actuellement en Tunisie, le pays vit en plein processus de transition politique, il faudrait se dire : «Faisons une pause, écoutons maintenant les victimes et reconnaissons-les. Oui, c'est arrivé. Oui c'était mal. Rétablissons les normes morales ». Si à côté de cela, on pouvait présenter également une forme de réparations financières ou au moins symboliques aux victimes, on aurait atteint quelques-uns des objectifs de la JT. Car il ne faut pas s'attendre à ce que tout le monde reçoive 50.000 dinars. Il faudra revoir les attentes à la baisse également concernant les procès : comment prouver par exemple un cas de torture qui date des années 50 ?
Que la loi sur la justice transitionnelle ait été publiée trois ans après la révolution, n'est-ce pas déjà trop tard pour amorcer le processus ?
— Non, d'ailleurs dans d'autres pays comme le Brésil, le processus a commencé trente ans après les changements politiques. La longueur correspond aussi au temps qu'il faut pour instaurer une légitimité de la JT, pour donner la possibilité à la société civile, comme ce qui s'est passé en Tunisie, pour rédiger une loi, qui a été certes modifiée par la suite, pour les débats à l'ANC. Déclencher le processus dès le lendemain de la révolution aurait été prématuré : les morts étaient encore chauds et les esprits pas encore apaisés. L'attente n'est pas forcément négative à condition de préserver les documents du passé et de prévoir un fonds pour les besoins urgents des victimes.
En Tunisie, bien avant l'adoption de la loi sur la justice transitionnelle, on a commencé à avancer des chèques aux victimes. A-t-on commencé par l'autre bout de la chaîne, à savoir les réparations ?
— Oui, il y a eu un problème d'ordre logique. Puisque d'après le décret n°1 de février 2011 sur l'amnistie générale et la réhabilitation professionnelle des prisonniers politiques et le décret 97 d'octobre 2011 sur les martyrs et blessés de la révolution, on a commencé très tôt à promettre des réparations sans savoir exactement qui sont les bénéficiaires, quel était leur nombre et quelles étaient les ressources prévues par l'Etat pour cet objectif. Le décret 97 a généré, d'une part, une multiplicité de listes de victimes et, d'autre part, les cantonne dans une courte période, du 17 décembre au 14 janvier, il a ensuite étendu sa couverture aux martyrs du bassin minier de 2008. Mais, et comme cité plus haut, les victimes sont parfois dans l'urgence et ne peuvent pas attendre cinq ans pour que l'Instance vérité leur donne leurs droits. Il y avait également à ce moment-là de fortes pressions politiques, qui étaient à l'origine de ces lois.
Les chèques sont-ils une manière de faire prévaloir le silence sur un passé qu'on n'a pas trop envie d'ouvrir ?
— Une vraie réparation ne peut qu'être à la fois matérielle et symbolique. Et un chèque qui n'est pas accompagné de mesures de dévoilement de la vérité et de reconnaissance ne vaut pas réparation. C'est en effet une manière d'acheter le silence des victimes. Un exemple auquel je pense souvent est celui du Maroc. Il est vrai que dans ce pays beaucoup de réformes ont été instituées après les années de plomb. Mais les victimes n'ont pas eu le droit de citer les noms de leurs bourreaux. La violence est restée anonyme. Par contre, elles ont reçu des réparations. Dans beaucoup d'autres pays comme en Argentine où les grands-mères de la Place de Mai refusent les réparations, on ne veut pas troquer la vérité et la justice contre des chèques. Des familles de blessés de la révolution sont également dans ce même cas. Probablement à cause des deux décrets promulgués trop vite, le débat sur la justice transitionnelle s'est concentré sur les réparations. Ce qui l'a faussé et politisé à l'excès, tout en entraînant une fragmentation des victimes et une concurrence entre elles selon leur appartenance politique : victimes islamistes, du mouvement Perspectives, de Barraket Essahel, de la révolution... Ces enjeux montrent à quel point la justice transitionnelle n'est pas qu'une affaire de droit. Elle tourne autour de questions fondamentales liées à l'identité, à la mémoire et à un choix de récit sur le passé. Tout le travail de l'Instance vérité et dignité consistera à défragmenter ces catégories afin de créer une force de réconciliation.
L'Instance vérité et dignité a été mise en place hier officiellement. Sera-t-elle à l'abri d'une instrumentalisation politique ?
— Il y a toujours un risque dans ce sens. Pour le prévenir, il faut donner à cette instance les moyens de son indépendance. Il faudrait que la société civile poursuive, malgré les réticences qu'elle a exprimées vis-à-vis de cette structure, son rôle de monitoring et de surveillance. Mais malgré le pessimisme ambiant et l'amplitude de son mandat, l'Instance part avec beaucoup d'atouts. Et si elle ne fait pas l'unanimité, c'est quelque part par manque d'un Mandela en Tunisie.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.