En chassant les nouvelles, nous avons appris que cette manifestation théâtrale, qui, depuis 2012, démarre la valse des festivals d'été, n'aura pas lieu cette année. L'association «Kolna Tounès», conceptrice de l'évènement, avoue qu'il lui est désormais difficile de refaire ce même «chemin de croix». Car, c'est ensemble qu'on peut inventer un idéal ou une réalité partagée. Lassaâd Ben Abdallah, directeur artistique du festival, et Emna Mnif, présidente de «Kolna Tounès», précisent que derrière cette décision, il n'y a ni chantage ni provocation. Ils croient toujours en ce projet de revalorisation du plus important et plus prestigieux site archéologique de Tunisie. Leur action ne se limite pas à l'événementiel. Organiser des manifestations, qui se ressemblent, qui ne changent pas la vie des gens, et qui ne laissent aucune trace, n'est pas leur tasse de thé. Construire sur de l'évènementiel n'est pas, non plus, la vocation d'un mouvement citoyen. Les partenaires ont misé sur la culture, parce qu'elle constitue toute «la profondeur» de la citoyenneté. Elle est la réponse à une certaine réalité et à des dynamiques d'opposition souvent stériles. Ils ont choisi le théâtre pour rendre à Dougga ce qui appartient à Dougga. Car, à une certaine époque, pas très lointaine, où les festivaliers avaient le choix, l'amphithéâtre de «la petite ville romaine la mieux conservée de l'Afrique du Nord» (tout est relatif!) accueillait régulièrement toutes les nouveautés du quatrième art. En lançant le Festhéâtre, les Mnif et Ben Abdallah ne voulaient pas couper le cordon. Ils voulaient surtout semer la graine d'une stratégie de sauvegarde et de revalorisation d'un bien national, commun. Bien que classé en 1997 par l'Unesco sur la liste du patrimoine mondial, ce site archéologique situé dans la délégation de Téboursouk au Nord-Ouest de la Tunisie, se retrouve, aujourd'hui, «dans un état de délabrement sans pareil », nous dit-on. Contrairement à ce qui s'écrit dans les guides touristiques, plusieurs autres sites et monuments, qui donnent du sens à notre identité, sont en péril. «Nous voulions montrer une voie parmi tant d'autres, sans prétendre avoir le monopole de ce territoire », réplique Emna Mnif. «Tout est là pour que ce site reprenne vie», ajoute-t-elle. Il existe des hôtels et des maisons d'hôtes qui peuvent accueillir du monde. Un privé a déjà ouvert un restaurant à l'entrée sud du site. Eté comme hiver, de jour comme de nuit, et tout au long de l'année, on pourrait encore meubler l'espace, en exploitant les points forts du parc archéologique, en y créant toutes sortes d'activités, des spectacles et des performances et, par conséquent, des emplois pour les artistes. Tout le site se transformerait en une foire de l'art et de la fête et les habitants de la région auraient ainsi l'occasion de redynamiser leurs commerces et de faire fructifier leur savoir-faire. L'essai, lors des deux éditions du Festhéâtre, était réussi. Le public était venu assez nombreux. Il a eu l'occasion de rafraîchir ses connaissances en matière d'histoire lors d'une visite guidée, non académique, mais rigoureuse et ludique. Il a entendu parler les pierres, patientes depuis des siècles. Sur son chemin, il a goûté aux produits du terroir, en attendant de goûter à l'art, jour et nuit, dans l'enceinte du point fort du parc qu'est l'amphithéâtre. «Mais nous ne pouvons plus refaire ce même chemin de croix, avoue Lassaad. Nous ne pouvons plus être en position de demandeurs. Ce genre d'action se fait dans le cadre d'un partenariat avec la région, les institutions concernées, les différents ministères, les agences de voyages... Bref, toutes les composantes de l'espace public», précise le directeur artistique de Festhéâtre. Il se trouve que l'on renvoie souvent la balle dans le camp de l'association. Emna Mnif raconte qu'en réponse à un dossier élaboré pour la promotion du site de Dougga, le ministère du Tourisme leur avait demandé combien ils paieraient les espaces publicitaires (!!!). Une anecdote parmi tant d'autres qui prouve que nos institutions n'ont, hélas, pas encore compris le rôle de la société civile. D'ailleurs, nous craignons que ces deux mots — «société civile» — ne deviennent aussi abstraits que d'autres, déjà classés langue de bois. La présidente de « Kolna Tounès » renchérit en disant : «On a peut-être changé le décodage et la lecture des évènements, mais pas encore nos pratiques et notre façon de faire». Lisser l'image de la Tunisie pour la vendre, voilà ce qu'on est plutôt en train de faire. Dans cette région du Nord-Ouest, il y a 1.600 sites archéologiques répertoriés et non exploités. Quels espaces vend-on, alors, aux touristes à part les dunes de Nefta ? Que faire si les décideurs ne se décident pas à occuper autrement le territoire? « On doit lé-gi-fé-rer !», martelle le directeur artistique du Festhéâtre. «Cela se passe au niveau des ministères », explique-t-il. «Pourquoi ne pas nourrir le régime associatif en procédant, par exemple, à des abattements fiscaux ? Jusqu'à aujourd'hui, aucun privé n'a l'obligation de sponsoriser le culturel... ». Il n'y a aucun signe qui dit que le politique irait dans le sens désiré. Emna pense qu'il est temps que l'on comprenne que le rôle de la société civile n'est pas celui de se substituer à l'exécutif. «La société civile est une force d'action et de proposition. Grâce aux médias, elle fera entendre sa voix, sa vision, et dénoncera le dysfonctionnement», dit-elle. «La balle est dans le camp des partis politiques qui doivent sortir du cadre des slogans, mettre en place de vrais projets de loi, et travailler, réellement, pour l'avenir du pays. » Si l'association a renoncé à mettre en place une nouvelle édition du Festhéâtre, elle ne chôme pas pour autant. Toute son énergie, déployée durant ces deux années, avait un sens. Elle lui a permis d'explorer le terrain pour se lancer sur un nouveau projet de valorisation économique et culturelle qui s'intitule « Kolna herfa » (nous sommes tous artisans). Nous y reviendrons.