Au sein de la société civile, on est passé aux solutions pratiques. A l'orée des élections présidentielle et législatives, l'armée doit recourir à ses réservistes et à ses retraités pour sécuriser l'opération électorale. La lutte contre le terrorisme est-elle devenue l'affaire exclusive des associations et institutions de la société civile ? Tout porte à le croire face à la démission des partis politiques, qui ont d'autres priorités dans la mesure où pas un seul d'entre eux n'a proposé une feuille de route claire et précise en la matière, et à l'entêtement du gouvernement actuel, qui semble avoir privilégié la solution sécuritaire puisqu'il fait jusque-là la sourde oreille aux propositions de la société civile. La preuve : le pôle antiterroriste, promis par Mehdi Jomâa dans sa conférence de presse, à la mi-mai, dressant le bilan des cent premiers jours de son gouvernement, est toujours un mystère. Personne ne sait encore s'il sera sécuritaire, juridique ou multidisciplinaire, comme le réclame tout le monde. Alors que les choses se précisent davantage quant aux dates des prochaines élections, les politiciens se retranchent dans leur sphère politico-politiciennne. Ennahdha propose un candidat à la présidence par consensus. Nidaa Tounes va à la guerre électorale tout seul. L'Union pour la Tunisie dénonce la volte-face de Nidaa considérant qu'il a trahi les forces démocratiques. Al Massar, qui ne perd pas espoir, appelle toujours à l'unité des forces démocratiques. En parallèle, la société civile, ses organisations et ses espaces de réflexion ne désarment pas face au cancer terroriste bien que ses propositions et ses appels ne soient pas toujours pris en considération par le gouvernement pour ce qui est de leur association à la mise en place d'une stratégie globale de lutte contre le terrorisme. Ils continuent à agir en solo étant convaincus que leur voix finira par être écouté. Deux événements ont marqué la fin de la semaine. Le premier est la publication d'un «livre blanc» qui dresse un diagnostic alarmiste de la situation dans le pays depuis la révolution. Par la même occasion et en aboutissement d'une série de rencontres organisées par la fondation Temimi pour la recherche et l'information, les auteurs dudit livre, notamment des intellectuels indépendants, lancent un avertissement clair contre les tentatives de destruction de l'Etat qui, d'après eux, menacent l'intégrité même de la nation. Un livre dont les auteurs estiment que le rétablissement de la sécurité est crucial pour garantir la participation du citoyen aux prochaines élections. Recours aux réservistes et retraités de l'armée Le deuxième événement est bien la journée d'étude organisée, hier, par l'observatoire arabe des religions et des libertés avec la participation entre autres d'anciens sécuritaires, chercheurs et anciens dirigeants politiques. Une grande interrogation a dominé cette journée : l'armée nationale a-t-elle les moyens logistiques et humains pour assurer les conditions requises de sécurité aux prochaines élections présidentielle et législatives? Aujourd'hui, selon les observateurs et anciens responsables de la grande muette, trente mille soldats sont à déployer pour sécuriser quelque huit mille bureaux de vote et quelque huit millions d'éventuels électeurs. Au cours des élections d'octobre 2011, on avait déployé trois militaires par bureau, alors qu'on comptait 7213 bureaux sur la totalité du territoire. La grande différence entre les élections de 2011 et les prochaines est la menace terroriste. Une menace qui nécessite un déploiement permanent des forces armées et sécuritaires, notamment dans les régions frontalières et dans le mont Châambi et les monts voisins, avec tout ce que cela engendre comme moyens logistiques à déployer. «Et si l'effectif de l'armée nationale a tout juste suffi lors des élections de 2011, comme le confirme le général à la retraite Mohamed Sellami, il serait difficile de réussir les deux tâches en même temps ; celle de sécuriser les élections et celle de combattre les terroristes qui vont essayer de mener des opérations terroristes pour semer la panique et déstabiliser le déroulement des élections». Pour combler cette défaillance en effectif, alors que la sécurisation des élections nécessite à elle seule trente mille soldats, une recommandation a été formulée consistant à faire appel, tout de suite, aux réservistes et retraités de l'armée. Une proposition que le général Sellami avance «en tant que solution pour s'acquitter des tâches qui incombent à l'armée lors des prochaines élections. Le dédoublement du nombre des recrues au sein de l'armée pour atteindre 60 mille soldats et l'annulation des affectations individuelles sont d'autres solutions urgentes proposées par les experts en sécurité globale». La réforme face à la menace terroriste qui plane La prolifération de la menace terroriste a été le point sur lequel ces experts ont insisté notamment dans un contexte régional instable. D'où le besoin de rendre les bouchées doubles en matière de lutte contre le terrorisme selon une stratégie claire et avec les moyens adéquats pour l'éradiquer au plus vite. Dans ce sens, le colonel major Mohamed Sellami relève la délicatesse de la mission de l'Armée nationale tout en rappelant qu'on est en guerre contre le terrorisme. Le manque de réactivité des politiques est encore un point sur lequel les spécialistes du dossier terrorisme insistent encore. En effet, lors de cette journée d'étude, on a pointé du doigt le laxisme des gouvernements qui se sont succédé depuis la révolution dans le traitement de ce dossier en dépit des indices et des opérations terroristes depuis l'opération de Rouhia au mois de mai 2011. Le général Sellami fait état d'un «manque de prévision et de fautes tactiques qui ont causé la perte d'un certain nombre de nos soldats et appelle à des enquêtes notamment la mort de huit de nos soldats pris dans une embuscade lors d'une opération dans le mont Châambi au mois de Ramadan dernier». La situation instable en Libye reste une source de menaces imminentes à la sécurité nationale tunisienne. De même, et en dépit de l'engagement de l'Algérie dans la lutte contre le terrorisme, la situation politique dans ce pays frère et voisin, sur qui la Tunisie compte beaucoup pour éradiquer le terrorisme, laisse planer la crainte d'un changement qui aurait des conséquences sur la sécurité du territoire tunisien. L'analyse des experts participant à cette journée d'étude autour du terrorisme est plutôt peu rassurante. En effet, elle laisse planer le doute quant à la capacité de nos forces de sécurité avec les moyens dont elles disposent actuellement d'éradiquer ce cancer qu'est le terrorisme. Opérations d'apparat A la sensibilité de la période des élections s'ajoute le mois de Ramadan qui, selon les experts sécuritaires, connaît une recrudescence des opérations terroristes au cours desquelles leurs acteurs chercheront un impact médiatique de grande ampleur. Cela rend plus difficile la tâche des forces sécuritaires qui ont besoin d'une meilleure synchronisation des opérations et d'informations stratégiques autour des mouvements de ces groupes terroristes. Des recommandations sont formulées visant une réforme urgente avec, entre autres, la création d'une agence nationale de sécurité, à l'instar de la CIA américaine, pour mieux mener les opérations antiterroristes, la centralisation réelle des données avec une seule et unique unité de commandement des différentes forces sécuritaires et militaires, le lancement d'un pôle consultatif composé d'anciens militaires et sécuritaires, l'intégration de la garde nationale au sein de l'armée, la formation des agents de sécurité des forêts, la dissolution des associations qui s'avèrent impliquées dans des financements suspects ou ayant des relations avec des terroristes, etc. Les propositions et solutions formulées par les experts se veulent pragmatiques mais l'on en revient à la question de la volonté politique dans l'application de telles recommandations...