On remet pieds sur terre dans le monde festivalier. Finies «les chimères, fini le cirque politicien». Les artistes musiciens reviennent à leurs fondamentaux. Les publics entendent renouer avec le bon vieux temps. Et de bons spectacles se préparent, içi et là. La 50e de «Carthage» s'ouvre samedi prochain. Un événement: ce que l'on va célébrer là, c'est un demi-siècle de culture tunisienne. A travers le parcours du festival de Carthage, nous découvrons même toute une histoire de ce pays. Les premières années mythiques, d'abord celles de l'édification, celles de Messâdi et de Chedly Klibi : on jouait alors à l'étroit, un peu de jazz, publics réduits. Puis la décennie 70, celle du vrai lancement. L'avait-on planifiée? Ce qui était certain, à l'époque, c'est que tous avaient la passion. Artistes, journalistes, responsables... et populations! On parle aujourd'hui des sessions historiques de Carthage, les fabuleuses de 77, et suivantes. En y pensant maintenant, ça n'avait rien de prémédité. On aimait les arts, on aimait la Tunisie, à la folie, voilà tout. Ce qui s'est passé de moins bon par la suite, le pire comme beaucoup disent, n'était, ni plus ni moins, que la conséquence logique. Le déclin de «Carthage» résultait tout simplement d'un déclin généralisé. On n'avait plus la passion, ni pour les arts, ni pour ce pays... ni pour quoi que ce fût. La 50e de «Carthage» s'ouvre samedi prochain avec l'idée bien arrêtée (nous dit-on) de «dépasser tout cela», de «rattraper le temps perdu». On y croit cette fois-ci. D'abord, parce que le pire ne pouvait aller plus loin. Ces trois années de révolution nous ont guéris de nos chimères. On a trop rêvé, on retombe sur terre. En termes de «festivals». Cela signifie que les artistes reprennent le boulot exactement comme ils l'ont laissé au lendemain du 14 janvier. Cela signifie, également, que les responsables culturels ne se piquent plus de philosopher sur des lendemains meilleurs. Ce que l'on a suffit amplement. Heureux que l'on s'en soit aperçus... à temps. Cela signifie enfin (surtout) que les populations aspirent tout simplement au repos. Elles veulent sortir, s'amuser, écouter de la bonne musique comme au bon vieux temps. Fini le cirque politicien ! Il y a des files indiennes déjà aux guichets des festivals. Voilà pourquoi on y croit ! Mais il y a aussi ce que les festivals proposent au concret. Les programmes concoctés ici et là. La critique est dubitative. Nous sommes allés regarder les choses de plus près. Les spectacles tunisiens répètent en ce moment. Honnêtement les doutes sont un peu excessifs. Il y a du labeur partout, et pour beaucoup, assurément, de l'idée. On n'a pas tout visité, seulement deux trois concerts en préparation. A commencer par un spectacle prévu samedi prochain au festival de la Médina. «Collier de jasmin» : il s'intitule ainsi. Le «collier» est un choix de compositions, créations nouvelles recoupant d'anciennes, de Mohamed El Majri. On ne présente pas Mohamed El Majri. Ses succès sont connus, «Tir El Hammam» par dessus tout. Mais encore, «Taweg tiji» «Mahla El Hayet» et «Akhaf alik» qui firent l'heure de gloire de Amina Fakhet, Sonia M'barek et Najet Attia durant les fabuleuses années 80. Mohamed El Majri reprend du travail après un long séjour à Oman. Il dirigera un orchestre takht, composé des meilleurs instrumentistes de la place, «dans le droit fil de la musique arabe classique», précise-t-il. «Cette musique est fondamentale pour nos jeunes générations qui doivent la découvrir, l'écouter, l'assimiler, pour finalement la perpétuer dans sa meilleure qualité...» «Le jasmin»? On l'a sans doute deviné, fait référence à «la poétique» des chansons proposées, mais également au quatuor de voix féminines choisies : Asma Ben Ahmed (élan, justesse, sobriété), Mehrezia Touil (de la classe!), Rihab Essghaïer (amplitude), Mariam Noureddine (diva en herbe). Des voix «pénétrées de chant» comme les affectionne Mohamed Majri. Quand tout ce beau monde est réuni (compositeur, instrumentistes, solistes, chanteuses), on va souvent vers le moment de musique. A notre humble avis, c'en est un. «Carthage 2014» nous en réserve un autre : «El Khadra Tghanni» (Et chante la verte Tunisie). Nous reviendrons plus en long sur ce concert de l'Association «Carthage pour le malouf et la musique tunisienne», conçu et dirigé et en grande partie interprété par Ziad Gharsa. Pour la critique, ce sera très probablement un passage obligé. Le thème l'exige : on veut restituer la Tunisie musicale de l'indépendance. Des chansons, une dizaine d'immortelles, des voix, des mélodistes et des poètes célèbres, mais aussi des images mémorables et une belle atmosphère d'époque. Ainsi «Chantait la verte!», ce ne sera guère, toutefois, un simple hommage nostalgique. Les immortelles des sixties seront rendues par des grandes voix actuelles. L'art du chant se perpétue à travers Hassen Dahmani, Leïla Hjaïej, Aya Daghnouj et bien sûr Zied Gharsa. On l'a compris : l'association Carthage inaugure son grand parcours festivalier par un vrai test création. Tout nous a semblé prêt pour réussir un grand coup.