Par M'hamed JAIBI A contrario du vote utile préconisé par des sages de ce pays paisible et pondéré, nous assistons à une profusion sans fin de mise en avant de personnalités se présentant comme présidentiables, ce alors que, une fois encore, des dizaines de nouveaux partis, portés ou non par des «candidables» à la magistrature suprême, se font jour comme des champignons d'un jour. De sorte que l'on risque bien de se retrouver, le 26 octobre prochain, en présence de plus de listes aux législatives qu'en 2011. Et c'est là l'un des aspects contre-productifs inévitables du scrutin de listes à la proportionnelle absolue : l'émiettement, qui peut rendre le pays ingouvernable. Pour parer à cela, nos élections présidentielles comportent deux tours de vote, dont l'un d'essai et l'autre pour départager les mieux placés, mais un fait est certain, c'est que la multitude des candidatures peut, là aussi, déstabiliser l'opération en écartant les plus représentatifs ou consensuels dès le premier tour, à la faveur d'un trop grand éparpillement des voix. C'est arrivé en France avec Jospin, pourtant alors donné vainqueur de Chirac au second tour. Mais, en fait, tout cela est le fruit d'un syndrome qui inquiète et menace, chez nous, aussi bien les législatives que la présidentielle, c'est cette guerre des ego que se livrent partis et personnalités dits démocrates (en référence à leur attachement à l'Etat civil, qu'en fin de compte la majorité absolue de l'ANC a fini par rejoindre, ne serait-ce que du bout des lèvres) et qui mine la cohérence de notre échiquier politique. Prenons la présidentielle : Ennahdha n'a pas de candidat partisan et se cherche même une «personnalité consensuelle», alors qu'en face, mille et un candidats modernistes se tirent dessus à boulets rouges, tout en escomptant en sourdine l'appui d'Ennahdha et du CPR, qui peut bien, à terme, faire pencher la balance. C'est un tableau kafkaïen où il risque de revenir aux islamistes d'arbitrer la guerre des égos et d'être en définitive déterminants dans le choix du président de la République appelé pourtant à faire contre-poids à leurs visées islamistes. Béji Caïd Essebsi, Mustapha Ben Jaâfar, Néjib Chebbi... sont parfaitement conscients de cette dangereuse anomalie qui assombrit le ciel, déjà brumeux, de notre sortie de crise. Mais rien ne se dessine à l'horizon pour aplanir les désaccords tactiques et mettre au placard les ego.