Il n'est point question de trouver ici une issue de secours ou une quelconque recette miraculeuse. Le miracle est déjà là : l'interrogation. N'est-ce pas le propre de la littérature et, a fortiori, du théâtre, que d'ouvrir les yeux sur la quintessence des choses et l'essence des êtres ? Le 31 juillet 1964, un jeune lycéen de 19 ans, assis dans les gradins du théâtre de plein air de Hammamet fraîchement inauguré par le Président Habib Bourguiba, regardait une pièce de Shakespeare, Othello, mise en scène par Ali Ben Ayed. Ce dernier était sûrement loin de se douter de la présence dans le public d'un futur grand homme du théâtre tunisien. Il ne pouvait pas non plus deviner qu'il allait être un formidable catalyseur dans la carrière de ce jeunot à peine sorti de l'adolescence, tout comme il avait influencé toute une génération issue du théâtre scolaire du Collège Sadiki. C'est ainsi que l'histoire du Festival International de Hammamet, étroitement liée dès ses premières lignes au genre dramatique, continue de s'écrire à l'encre du 4e Art. Le théâtre en plein air représente à lui seul une formidable opportunité pour les troupes qui n'hésitent pas à relever le défi qu'il leur impose. Un espace ouvert tout en étant intime, un public hétéroclite mais exigeant ; celui qui ose se mesurer à ce lieu ne le regrette pourtant pas. Et, en matière d'effronterie, Fadhel Jaïbi n'a rien à envier aux plus illustres rebelles que l'humanité compte à son actif. Ayant suivi les traces de son mentor Ali Ben Ayed, l'élève dépasse le maître, crée, en collaboration avec Jalila Baccar et Fadhel Jaziri, la première troupe tunisienne privée, se débarrassant ainsi d'une dépendance parfois paralysante, devient le chef de file d'une nouvelle tradition théâtrale qui se veut en même temps une école et un laboratoire et ouvre la voie à des dizaines de nouveaux talents. Aujourd'hui, il est encore possible de remonter à la source qui anime le travail de cette troupe qui a toujours fonctionné en marge du conventionnel, de la banalité, de la norme. Véritable plateforme qui reçoit des novices et qui les voit partir en têtes d'affiches, elle tourne toujours autour du même noyau, le centre névralgique de sa créativité sans bornes, le couple originel qui fonde le mythe tout en le justifiant : Jalila Baccar et Fadhel Jaïbi. Ainsi, à titre d'exemples, Fathi Heddaoui, Mohamed Ali Ben Jemaa et Lamine Nahdi ont été, sous la férule de Fadhel Jaïbi, de véritables révélations pour le public autant que pour eux-mêmes. C'est dire à quel point notre homme repousse les limites jusqu'à atteindre le sublime. D'autres complices, comme Fatma Ben Saïdane, continuent l'aventure qui décortique, depuis pratiquement quarante ans, les rouages d'une société sclérosée jusqu'à nous offrir en 2013 « Tsunami ». Ce titre, bien qu'emprunté aux épisodes dramatiques que l'Indonésie et le Japon ont subis ces dernières années, se prête fort bien à la désignation d'une autre déferlante bien plus grave, car elle n'est pas tributaire des aléas de la nature mais découle de la volonté de l'homme. S'il fallait choisir un mot pour désigner l'objet de la quête incessante dominant le parcours du Nouveau théâtre de Tunis, puis de Familia Production, ce serait sans aucun doute « la schizophrénie ». Le dédoublement de la personnalité est au cœur des textes de Jalila Baccar et le moteur de la mise en scène de Fadhel Jaïbi. Plus qu'une recherche de réponses, leur travail aborde le questionnement sous des formes diverses, renvoyant aux spectateurs leurs propres incohérences et celles de plusieurs générations qui se sont enlisées dans un cercle vicieux. Il n'est point question de trouver ici une issue de secours ou une quelconque recette miraculeuse. Le miracle est déjà là : l'interrogation. N'est-ce pas le propre de la littérature et, a fortiori, du théâtre, que d'ouvrir les yeux sur la quintessence des choses et l'essence des êtres ? Rendez-vous est donc pris ce jeudi 31 juillet 2014 à 22h30 pour fêter le 50e anniversaire du Festival International de Hammamet, celui du théâtre de plein air et, par la même occasion, pour fêter le Théâtre tout court et les retrouvailles, un demi siècle plus tard, de Fadhel Jaïbi avec la scène qui a vu naître sa passion pour le 4e Art.