Par Hamma HANACHI Dans les différents médias, l'arrivée du 101e tour de France n'a pas eu les échos habituels, ni les commentaires qui vont avec en ce lundi de drame. Il a été relégué au second plan. Les actualités relataient plutôt l'accident de l'avion d'Air Algérie perdu au Sahel entre alizés chauds et froids, suivis du discours de François Hollande sur cette triste catastrophe et, accessoirement, sur les atrocités de Gaza. L'événement estival, qui captive les foules, ne devait tout de même pas passer sans qualificatifs. Les médias français, pas peu fiers, annoncent à l'unisson les gagnants, deux Français sur le podium : Jean-Christophe Péraud, qui a connu une grosse frayeur en chutant à 43 km de l'arrivée, et Thibaut Pinot. Un événement qui permet au clan français de réaliser une performance inédite depuis 1984, avec le duo Fignon-Hinault aux deux premières places. En fait, aucun des deux Français n'est porteur du maillot jaune, le tenant du titre est Vincenso Nibali. L'Italien d'exception, déjà vainqueur de la Vuelta 2010 et du Giro 2013, et qui devient le sixième coureur de l'histoire du cyclisme à s'imposer sur les trois grands tours, après Jacques Anquetil, Felice Gimondi, Eddy Merckx, Bernard Hinault et Alberto Contador. Soit. La veille, pour les amateurs du tour, et, en forme de mise en bouche, FR5 a programmé dans l'émission «Duels», la rediffusion d'un excellent documentaire signé Jean-Louis Saporito, intitulé : Anquetil le vainqueur, Poulidor le héros. On ne peut mieux titrer. Le documentaire se base sur des images d'aarchives, en noir et blanc, forcément : la France d'il y a cinquante ans, les premières prises de vue en hélicoptère, les premiers soupçons de dopage, les attitudes et les habits des vacanciers en montagne et, évidemment, la sueur, les larmes, l'effort, les expressions des cyclistes... Des témoignages récents, en couleur, infirment ou confirment des faits, des vérités et des contrevérités, le dopage, les expressions perdues, les nouvelles techniques, les héros actuels, etc. Une belle échappée dans le monde de la bicyclette pour le spectateur, qui apprendra les dédales d'un sport populaire, les équipes, les spécialités des uns et des autres, montagnard, pistard, contre la montre, solidarité, lâchage, haine... Le Tour, rappelons-le, est une institution en France. Des journalistes de haut niveau l'ont suivi, des écrivains et autres sémiologues l'ont commenté. Parmi ceux-ci, citons les fameux papiers et les mots d'esprit de Antoine Blondin, ou le chapitre de Roland Barthes, intitulé Le Tour de France comme épopée, dans ses Mythologies (10 pages délicieuses sur les caractères des champions des années 50). Plus qu'un sport, donc, c'est une passion qu'on retrouve chaque été. Nous sommes en 1964, les initiés se rappellent ce Tour légendaire, qui se déroule en 22 étapes du 22 juin au 14 juillet, un été caniculaire. «Le Tour des Tours», selon Serge Laget, historien du cyclisme. Le Limousin Raymond Poulidor avait remporté le Tour d'Espagne. Le Normand Jacques Anquetil avait gagné le Giro d'Italie. La France entière est partagée entre les deux hommes. Deux coureurs, deux caractères issus de deux régions. La tension est telle que les journalistes ont inventé une véritable doctrine : l'Anquetilisme ou la domination à tous les coups et la victoire à tout prix. «Maître Jacques» est fier, il a un corps parfait (aérodynamique avantageuse), il est beau, éloquent. C'est un calculateur froid qui ne recule devant rien pour monter en grade. Il dispose d'un bagage psychologique lourd, il a été l'adversaire des plus grands champions, de Fausto Coppi à Eddy Merckx, par opposition à Poulidor, qui incarne la modestie au travail, l'humilité de l'éternel second. « Poupou », issu d'un milieu agricole pauvre, représente le travailleur acharné : mains calleuses, humble, plus proche du peuple, il a la sympathie des spectateurs. A l'époque, on était soit pour l'un, soit pour l'autre. Le duel entre les dieux commence par donner l'avantage à Poulidor. Mais... Ah ! Cette étape restée gravée sur le marbre de l'histoire cycliste, copieusement commentée, richement analysée, la neuvième reliant Briançon à Monaco. Poulidor arrive en tête au vélodrome de Monaco. Le public applaudit, l'enthousiasme est général. Seulement, le héros ignore qu'il lui faut boucler un tour de circuit pour gagner et s'arrête juste après avoir franchi la ligne. Erreur incompréhensible. Juste derrière, Anquetil réussit à le doubler et à gagner l'étape. A cette occasion, il récupère une minute de bonification. Outre la 9ème étape, la 20ème , datée du 12 juillet entre Brive et le Puy-de-Dôme, est restée dans les mémoires. Anquetil était au bord de la rupture. Poulidor qui a encore des ressorts physiques n'attaque pas. Jusqu'à ce jour personne ne comprend pourquoi. Avec quelques secondes d'avance, Anquetil endossera le maillot jaune, disons comme toujours. Des années plus tard, les deux coureurs se réconcilieront. Poulidor, le courageux, toujours modeste, est allé voir son rival, rongé par un cancer de l'estomac. «Quelques jours avant sa mort, Jacques m'a dit, presque avec le sourire : «Tu vas encore faire deuxième». Belle leçon de vie.