A peine adolescente, début 80, elle devenait, en un temps record, la star, «la chouchou», et «la voix promise» de la musique et de la chanson en Tunisie. Ces trois attributs à la fois, aucun autre chanteur ou chanteuse ne les avait réunis. Pas même les légendaires Msika et Saliha. Une petite décennie prolifique, en répertoires, en succès, en popularité, puis dès 1990 et l'avènement des satellitaires arabes, des retraits, des retours ponctués d'absences répétées. On peut perdre un public dans la chanson, mais pas un talent inné, pas une voix avec ce timbre-là et des intuitions vocales de génie. C'est dire que les retours de Najet Attia sur les grandes scènes sont toujours aussi attendus «qu'acquis». Ce jeudi au festival de Carthage sans doute, déjà. Interview pour en savoir sans doute mieux. Heureux d'abord de vous revoir à «Carthage», ce jeudi. Vous ne vous y êtes pas produite, depuis 2008, c'est long. Pourquoi ? Peut-être parce que, à chaque fois, je ne trouve pas le produit qu'il faut pour les festivals et particulièrement pour «Carthage». On ne m'a, du reste, jamais refusé cette grande scène, a fortiori, Mourad Sakli et Sonia M'barek, mais, moi, je n'étais pas prête. Je ne suis pas du genre à foncer dans un tel travail sur une décision non mûrie, ou impréparée. Il faut que je dispose d'un produit digne, à la hauteur du lieu et de l'événement. Un concert à «Carthage» n'est pas une simple soirée. C'est toute une organisation, tout un staff, toute une démarche, toute une thématique, tout un projet ! C'était le cas du concert annulé, pour les tristes raisons que l'on sait, du dernier festival de la Médina. J'étais parfaitement prête, tout à fait au point. «Dima Nghanni», c'en était le titre. La volonté de chanter à un haut niveau existe toujours, c'est ce que je voulais souligner, et c'est ce que je veux souligner encore à travers ma participation, ce 14 août, au concert de Mohamed El Mejri. Ce concert du jeudi 14 août ne sera quand même pas un concert unique, votre affiche seule : ce sera le concert hommage au compositeur Mohamed El Mejri, visiblement vous y êtes venue «tout de go», sans poser de questions. Racontez-nous... Oui, absolument, car quand Mohamed El Mejri est venu m'en parler, j'ai vite perçu une profonde sincérité. Il m'a dit : «Najet, votre voix est mon instrument». Ça m'a beaucoup touchée car, effectivement, j'estime être une voix, une des voix qui vont avec son style de composition, sa grande sensibilité musicale par-dessus tout. L'entente musicale est la chose essentielle pour moi. Je ne tiens compte que de cela dans mon rapport aux compositeurs avec lesquels je collabore. Ni «questions» personnelles, ni «problèmes» de vedetteriat, ça n'a jamais été mon souci : il n'y a que l'accord sur l'Art, sur la musique et le chant. C'est ce qui me détermine toujours. Jeudi à «Carthage», vous allez aussi chanter Akhaf Alik, un de vos grands succès des années 80. Regrettez-vous ces années ? Croyez-vous que ce furent une chance que la musique tunisienne a trop vite perdue ? Les années 80 furent une période exaltante, vraiment, pour la musique, le chant et la chanson. Avec l'époque dite de l'éveil, celle des années 30-60, elles furent de véritables années de renaissance musicale. Je suis très fière d'appartenir à cette époque et à sa formidable génération. Car, à cette époque, les Tunisiens se sont réconciliés avec leur musique. Et je crois qu'avec des compositeurs comme Mohamed El Mejri, Agrebi et d'autres encore, prolixes et doués, j'ai contribué largement à cette réconciliation. Vos tout premiers débuts étaient dans le traditionnel et le genre tounsi, puis, subitement, vous avez excellé et trouvé une harmonie particulière dans le style charqi de Mohamed El Mejri. Chantez-vous tout ? Sinon où vous sentez-vous le mieux ? Mais j'ai toujours «tout chanté». Et je suis, encore, en train de tout chanter. Je fais tous les genres, car j'ai la chance de pouvoir y mettre et la voix et l'esprit. Il faut que la tête s'adapte au chant, c'est ce qui fait que l'on réussit à exprimer tous les genres. La musique de Mohamed El Mejri me comble tout particulièrement, bien sûr, mais les autres me donnent aussi autre chose d'aussi précieux. Vos absences répétées demeurent aussi un mystère... Ceux avec lesquels je peux collaborer manquent d'abord, de plus en plus. Il existe ensuite de la musique, mais je ne la sens pas beaucoup. Je cherche, en fait, la chanson qui «redécolle». Sincèrement, la chanson est un peu maladive, aujourd'hui. Paradoxalement, en perdant sa fièvre d'un temps, elle a comme perdu de sa santé. Il y aura, néanmoins, ce concert de Mohamed El Mejri du jeudi 14 août à Carthage. Du classique pur, ce sera sûrement une aubaine pour les mélomanes, mais que dites-vous à l'autre public (aux éventuels absents) à son sujet ? Je leur dirai qu'ils vont beaucoup perdre en s'abstenant de venir. Et que s'ils veulent vraiment renouer avec l'écoute de la grande musique, ce concert sera l'occasion rêvée. Il faut encourager nos compositeurs, nous en avons de grands, grâce à Dieu, encore actifs et créatifs comme Mejri. C'est notre chance : en Egypte et au Liban, aujourd'hui, les grands compositeurs ne sont plus cités que de mémoire, on n'a pas pu les remplacer.