Béji Caïd Essebsi, Néjib Chebbi, Mustapha Ben Jaâfar, Hamma Hammami, Kamel Morjane, Abderrahim Zouari et probablement Moncef Marzouki se lancent à l'assaut de Carthage et sollicitent les voix des Tunisiens dont 62% (selon le dernier sondage non publié, période électorale oblige) ne savent pas encore pour qui ils vont voter Le 8 septembre 2014, premier jour du dépôt des candidatures à l'élection présidentielle, c'est déjà demain. En prévision du grand jour (les dossiers seront présentés du 8 au 22 septembre prochain), les partis politiques présents sur la scène nationale, les personnalités se proclamant indépendantes et les partis nés à la faveur de la révolution mais ayant disparu, depuis, de la circulation affûtent ces derniers jours leurs armes pour faire la promotion de leurs candidats, multiplient les déclarations et les contre-déclarations donnant à croire qu'ils peuvent changer de candidat à la dernière minute, au gré des alliances ou des soutiens pouvant surgir à n'importe quel moment. En attendant que les dés soient jetés définitivement et que les noms des prétendants au Palais de Carthage soient connus officiellement, il serait utile que les Tunisiens soient édifiés autant que possible sur les profils (carrière politique, faits marquants, déclarations ou prise de positions remarquables, etc.) des principaux candidats disposant d'une présence médiatique continue ainsi que des candidats qui ont surpris tout le monde en annonçant leur candidature alors que personne ne les connaît ni avant la révolution ni après les élections du 23 octobre 2011. Si El Béji et les autres Et les grosses pointures d'être à la tête de ceux qui n'ont pas attendu la chute du gouvernement Laârayedh et la formation de celui de Mehdi Jomâa pour faire part de leur volonté de succéder à Moncef Marzouki à la présidence de la République, mais cette fois en tant que président permanent pour un mandat de cinq ans, avec des prérogatives renforcées et foncièrement différentes de celles accordées au président sortant. Le premier à avoir brigué le poste était Béji Caïd Essebsi, président de Nida Tounès, qui a surpris tout le monde, en premier lieu les barons de son parti, en annonçant en 2013 sur Nessma TV qu'il se portait candidat à la présidentielle. Une annonce qui a fait boule de neige au sein du paysage politique national préoccupé à l'époque par le Dialogue national et sa feuille de route qui s'est soldée par l'émergence de Mehdi Jomâa et ses ministres technocrates et apolitiques. L'atout principal de Caïd Essebsi : son passé de l'un des rares hommes qui ont dit non à Bourguiba dans les années 70 du siècle dernier et sa réussite en tant que Premier ministre de Foued Mebazâa à organiser des élections libres et transparentes le 23 octobre 2011 à l'issue desquelles les islamistes ont accédé au pouvoir. Son deuxième atout : La création le 18 juin 2014 de Nida Tounès, le parti qui a servi de contrepoids au mouvement Ennahdha, le parti dominateur à l'époque. Aujourd'hui, Béji Caïd Essebsi joue sur deux facteurs, son charisme personnel et ses qualités d'un homme politique qui est au courant de tout ce qui se passe en Tunisie depuis 1956 d'une part et la présence de son parti Nida Tounès qui rassemble les Tunisiens attachés à la continuité du projet réformateur de Bourguiba, d'autre part. Viennent ensuite Néjib Chebbi et Mustapha Ben Jaâfar. Le président de l'Instance politique d'Al Joumhouri (héritier du parti démocratique progressiste, héritier lui aussi du rassemblement socialiste progressiste fondé au début des années 80 et légalisé sous l'ère Ben Ali) fonde ses espoirs sur son passé militant, sur ses positions intransigeantes d'opposition systématique à Bourguiba et à Ben Ali et sur sa grève de la faim d'octobre 2005, l'événement qui a révélé au monde entier qu'il existait en Tunisie des hommes politiques de tous bords (les islamistes fraîchement libérés étaient de la partie) qui dénonçaient la dictature de Ben Ali au moment où la Tunisie accueillait en fanfare le sommet mondial sur la société de l'information (SMSI 2005) dans sa deuxième édition. Quant à Mustapha Ben Jaâfar, président d'Ettakatol et président sortant de l'Assemblée nationale constituante (ANC), il fonde aussi ses espoirs sur son passé de l'un des premiers défenseurs des droits de l'Homme en étant l'un des fondateurs en 1977 de la Ligue tunisienne de défense des droits de l'Homme (Ltdh) et sur son passage à la tête de l'ANC qu'il estime réussi et n'hésite pas à dire que c'est bien lui qui a sauvé l'expérience démocratique tunisienne en décidant en août 2013 la suspension des activités de la Constituante à la suite de l'assassinat du constituant Mohamed Brahmi, le 25 juillet de la même année. Un atout que Ben Jaâfar ne manquera pas d'exploiter dans sa campagne électorale en lui ajoutant le texte de la Constitution du 27 janvier 2014 qu'il considère comme l'une des meilleures Constitutions au monde en oubliant qu'il a apposé sa signature, le 1er juin 2012, sur un autre projet d'une Constitution qui allait changer le visage de la Tunisie et la faire sortir du monde de la modernité et du progrès. De son côté, Moncef Marzouki, président provisoire de la République, fait durer le suspense en s'abstenant jusqu'ici d'exprimer clairement sa volonté de demeurer au Palais de Carthage au cours des cinq prochaines années. Ses fans et ses conseillers, dont le nombre se rétrécit de jour en jour, tablent sur ses positions qu'ils jugent courageuses, inédites et audacieuses, des positions que seul «un président cultivé et auteur de plusieurs ouvrages» — comme il le souligne lui même — est en mesure de prendre. Reste Hamma Hammami, le militant opposant de toutes les époques, l'homme qui a dit non à Bourguiba et a goûté à ses geôles, le politicien qui s'est distingué pour être le seul à découvrir et à crier en novembre 1987 que Ben Ali était un fossoyeur de la démocratie et de la liberté au moment où tous les autres adulaient le président déchu et le prenaient pour le messie, sauveur de la Tunisie. Le 23 novembre 2014, Hamma Hammami demandera aux Tunisiens de lui accorder leur confiance afin qu'il les conduise sur la voie de la démocratie, de la liberté et de la justice sociale et économique, idéaux pour lesquels tant de Tunisiens ont payé le prix fort bien avant la révolution du 17 décembre 2010-14 janvier 2011. En attendant de s'installer à Carthage, Hamma briguera le 26 octobre prochain un siège au palais du Bardo dans l'espoir de figurer parmi la première Assemblée des députés du peuple. Les Destouriens de retour Et si les Tunisiens ont oublié, à la faveur des quatre années de la révolution, les destouriens et les visages les plus marquants qui ont accompagné les ères Bourguiba et Ben Ali, l'élection présidentielle leur offre l'opportunité de redécouvrir deux revenants. D'abord, Kamel Morjane, le dernier chef de la diplomatie de Ben Ali et le président du seul parti à vocation destourienne, l'Initiative nationale, qui a réussi à placer le 23 octobre 2011 cinq constituants au palais du Bardo permettant, ainsi, aux destouriens, voire aux rcdistes, les pestiférés de la révolution, de laisser leur empreinte sur la Constitution de la révolution. Kamel Morjane, le sahélien qui puise aussi sa légitimité de son père feu Kantaoui Morjane, compagnon de la première heure de Bourguiba, court derrière la confiance des Tunisiens auxquels il ne cesse de rappeler que les destouriens ont bel et bien édifié l'Etat moderne sous Bourguiba. Ils ont aussi le devoir de participer à l'édification de la démocratie. Ensuite, Abderrahim Zouari qui défendra les couleurs du Mouvement destourien dirigé par Hamed Karoui, ex-vice-président du RCD dissous et ancien Premier ministre de Ben Ali durant de longues années. Le fils de Dahmani, qui a été le plus jeune gouverneur de la Tunisie indépendante et qui a dirigé le RCD à deux reprises, revient à la politique par la grande porte après avoir lui aussi connu la prison durant plus de deux années. «L'animal politique», comme le qualifient plusieurs analystes même à l'époque de Bourguiba, estime qu'il est le plus habilité à représenter les destouriens version Hamed Karoui. Enfin, Hamadi Jebali, chef du gouvernement de la Troïka I, et ancien secrétaire général d'Ennahdha, postule à la présidence de la République en tant qu'indépendant. A-t-il l'espoir de voir Ennahdha et les partis qui lui sont encore fidèles lui accorder leur soutien en tant que président consensuel, initiative lancée en juillet dernier par le parti nahdhaoui et qui a été rejetée par l'ensemble des partis politiques ? Seulement, Ghannouchi est toujours attaché à son initiative. Qui sait : peut-être Hamadi Jebali sera l'heureux candidat consensuel de la dernière minute. (Demain, Les outsiders auront leur mot à dire)