La mauvaise gestion des déchets n'explique pas à elle seule la tragédie environnementale que vivent les Tunisiens. Tergiversations et bras de fer tuent dans l'œuf toute tentative de sortie de crise C'est une première dans l'histoire de la Tunisie qu'une grève générale soit décrétée dans toute une ville en raison d'une crise environnementale. Cela s'est passé jeudi dernier à Djerba Houmet-Souk. Il faut admettre que la situation dans la ville a atteint un tel niveau de dégradation, du fait de l'accumulation des tonnes de déchets pendant plusieurs mois, partout dans les quartiers et les artères de la ville, qu'il devenait évident que le ras-le-bol des Djerbiens finirait par exploser comme une bombe à retardement. Mais, cette fois, celui qui va actionner le détonateur n'est pas l'ouvrier, l'agriculteur, l'enseignant ou n'importe quel autre administré opprimé, c'est le patron. L'hôtelier en l'occurrence. A cause des déchets, l'île de Djerba a raté cet été son rendez-vous avec la haute saison touristique, disent les hôteliers. Et certains des hôtes étrangers se sont même amusés à jouer les apprentis éboueurs pour exprimer avec humour leur consternation face à autant de dégâts et d'abandon dans une île jadis magique, voire mythique. Fuite en avant La crise des déchets de Houmet-Souk est en train de prendre des proportions désastreuses et l'issue semble bien incertaine. Hier encore, après qu'un accord, certes précaire, entre le gouvernement et les citoyens regroupés en association, commençait à être exécuté dans le sens d'un déblocage de la crise en attendant des solutions plus radicales, l'antenne locale de l'Utica a durci de nouveau le ton. En effet, la collecte des déchets a repris avec beaucoup de difficultés, ces derniers jours « sur la base d'un accord provisoire stipulant l'acheminement des déchets de Houmet-Souk vers la décharge non contrôlée de Naffatia ( Guellala, décharge contrôlée, et Mellita, non contrôlée, étant fermées) en attendant une autre solution plus réfléchie dont le choix d'un autre site plus approprié à l'aménagement d'une nouvelle décharge contrôlée », comme l'a souligné le secrétaire d'Etat chargé du Développement durable, Mounir Majdoub, dans une interview sur les ondes d'une radio privée. Mais, samedi dernier, à la suite d'une réunion interne, la structure régionale de l'Utica-Houmet-Souk a créé la surprise en annonçant une série de décisions, le moins qu'on puisse dire étonnantes : l'organisation de sit-in sur les voies menant à l'aéroport international de Djerba-Zarzis, la suppression de la cellule de crise au sein de l'antenne régionale de l'Utica, la non-participation des membres de l'antenne à n'importe quelle commission, la demande de la démission immédiate du gouverneur et l'appel à tous les chefs d'entreprise et les commerçants afin qu'ils ne s'acquittent pas de leurs engagements fiscaux. Voilà le genre de fuite en avant qu'engendre toute crise qui perdure et ne trouve pas de solution dans des délais raisonnables. Situation propice d'ailleurs aux rumeurs et autres allégations qui font état d'interférences de partis politiques et de tentatives d'affaiblissement de l'Etat. De nombreux mois ont passé en effet et les différentes parties concernées par cette affaire de déchets — qui prend des proportions de crise nationale – continuent de se rejeter la responsabilité et de revendiquer des choses pour certaines irréalisables. Les habitants de Houmet-Souk exigent d'être débarrassés de leurs déchets « ailleurs, loin de la ville » ; leurs voisins du gouvernorat de Médenine refusent d'être le dépotoir de Djerba, et le gouvernement propose comme solution urgente le recours provisoire à des décharges sauvages parce qu'on n'aménage pas une décharge contrôlée, au demeurant fort onéreuse, en un tour de main. Un dialogue de sourds, en somme. A désastre national, dialogue national La situation catastrophique de Djerba Houmet-Souk n'est qu'un échantillon du désastre environnemental à l'échelle nationale, qui a commencé à prendre corps et forme un peu partout en Tunisie depuis les événements de 2011. Au nom de la liberté d'expression et d'action, l'anarchie a pris toutes ses aises pour s'installer dans la durée et engendrer le chaos. Mais le pays, qui fait office de laboratoire du printemps arabe et qui, pour cela, doit faire face à toutes les crises —sociale, économique, sécuritaire et environnementale— est appelé à trouver sa propre voie de sortie. Comme en politique, où la crise a été désamorcée, finalement, à coups de dialogue national et de concessions, il faut également trouver un terrain d'entente, en associant toutes les parties y compris les acteurs politiques, pour débarrasser les villes tunisiennes de leurs ordures et leur faire recouvrer un brin de fraîcheur et de dignité. L'exemple vient peut-être de Sfax où, à l'occasion de la célébration de l'anniversaire de la municipalité, la société civile a décrété la journée d'hier dimanche, jour sans voiture. Une initiative écologique pour lutter contre la pollution atmosphérique et sensibiliser les citadins à un mode de vie plus sain, comme le déplacement à vélo ou la marche à pied. La chaleur torride enregistrée hier dans la ville de Sfax comme partout ailleurs, a empêché les Sfaxiens d'enfourcher leurs vélos, mais l'initiative mérite d'être signalée car c'est à travers des initiatives citoyennes similaires, loin des discours politiques et de leurs slogans creux, que l'on peut espérer une véritable prise de conscience de la menace environnementale qui guette toute la Tunisie, ainsi que des responsabilités de chacun dans les risques encourus.