Dans l'euphorie générale, le récital d'ouverture a permis au public, très nombreux, de vivre l'étourdissante extase des valses et des polkas viennoises Pour illustrer l'esprit du 26-26, symbole de générosité et d'élan du cœur, qui mieux que l'Orchestre du bal et de l'opéra de Vienne est digne de la grandeur et de la noblesse de son message universel ? Cette année encore, Uwe Theimer a démontré que l'ascendant qu'il exerce sur le public est toujours opérant, cela tient du magnétisme qui se dégage de sa personnalité si charismatique de meneur d'hommes et aussi des qualités exceptionnelles de son orchestre. L'ivresse des valses La fête était donc totale samedi dernier à l'amphithéâtre romain d'El Jem, et c'est en présence de plusieurs membres du gouvernement et de nombreux diplomates, dont l'ambassadeur autrichien, M. Johan Froehlich, qu'a démarré le concert «Musique et Solidarité». La presse étrangère était également présente. On lui a réservé un carré sur le côté latéral de la scène. Elle semblait beaucoup plus sensible à la réaction du public qu'à la beauté des valses et des polkas viennoises. Il faut dire qu'il y avait foule. Jamais le public d'El Jem n'a été aussi nombreux. Un public en or, conquis par l'étoffe distinguée du toucher des artistes qui lui ont permis d'avancer d'une monographie à une autre : les Strauss, Beethoven, Lehar, Komzak, Kalman, Stolz et Zieher. On n'en finit pas d'être ébloui par le génie de Johann Strauss qui est passé à la postérité par la grâce et la sensualité de ses valses immortelles et tournantes à trois temps. A lui seul, il a constitué le fond essentiel du concert. Dans une interprétation gorgée de sève et remplie de vie, l'ensemble a promené son auditoire dans une balade impériale de symphonies viennoises, des czardas austro-hongroises de Kalman-Koppstein, des opérettes de Franz Lehar, des valses de Carl Ziechreron, de Joseph Lanner qui fut avec Johann Strauss le précurseur de la valse viennoise dans la première moitié du XIXe siècle. Le duo constitué par la soprano Marcela Cerno et le magnifique ténor Joerg Schneider a été divin dans le récitatif et l'arioso. D'instinct, la soprano et le ténor ont évolué dans une ligne mélodique continue qui privilégie le romantisme très perceptible dans l'opérette «La Comtesse Mariza» de Kalman. En duo ou en solo, les deux solistes étaient remarquables par la virtuosité vocale et l'expression dramatique qui traversent et frappent, par moments, l'auditoire comme un éclair. De vrais gladiateurs de la scène qui ont pleinement mérité les ovations d'une foule tétanisée, une foule pas de si tôt prête à oublier les déchaînements provoqués par des titres aussi évocateurs que : Une nuit à Venise, Tout mon cœur est à toi, Ma vie est amour et joie, Quand j'écoute les violons des Tsiganes, Je suis amoureuse, Les filles de Baden, etc. Des valses tournantes à trois temps, dansées sur un rythme musical de plus en plus accentué par le ballet de l'opéra. Deux jeunes couples superbes de fraîcheur et d'espièglerie à la frimousse plus qu'engageante. Des virtuoses de la danse qui privilégient la beauté des formes et la noblesse des gestes et qui idéalisent l'esthétique du corps parce que, justement, ils ont hérité des anciens qui les ont précédés le maintien et l'ouverture à la création. Ô temps, suspends ton vol Yasmine Azaïez, la jeune violoniste tunisienne, était, pour la deuxième année consécutive, présente avec Uwe Theimer. L'ancienne élève de la célèbre Yehudi Menuhin School de Londres et du New England Conservatory de Boston, superbe dans un fourreau noir en dentelles, a présenté un cocktail d'improvisations contemporaines et autres musiques du monde; elle a commencé avec Romance n°2, opus 50 en fa majeur de Beethoven et a poursuivi avec du Vivaldi (Summer), un morceau tsigane de Ravel, un autre Requiem for a dream, du Hédi Jouini avec Samra et, enfin, elle a divinement chanté un couplet de Bohemian Rhapsody de Queen. Sa prestation a été accueillie par une ovation qui a fait trembler les fondations doublement millénaires du Colisée. Actuellement, Yasmine Azaïez est sur le tournage du film de Nada Hafaïedh-Mezni, Chroniques tunisiennes. Pour «remercier» le public de la correction dont il a fait preuve tout au long du récital, Uwe Theimer a joué du Fayrouz «Bent Chalabiya». Euphorique, le public, debout, applaudissait à n'en plus finir. Cette formidable ovation l'a fait remonter sur scène pour jouer Le beau Danube bleu. Il est retourné une fois de plus pour interpréter du Vivaldi. Le public, cosmopolite, applaudissait à tout rompre, reconnaissant pour le chef d'orchestre de lui avoir permis de visualiser par l'oreille le considérable apport du génie de ces grands compositeurs du XIXe siècle en matière d'enrichissement des symphonies d'opéra.