A chacun son slogan, sa couleur, son positionnement et son catalogue de promesses. Tout est une question de style et de stratégie de marketing. La campagne présidentielle touche à sa fin. Samedi, jour du silence électoral, tout le monde se tait. Dimanche, il faudra aller voter. Avant cela, il nous a été donné de voir, pendant une vingtaine de jours, des prétendants se livrer bataille dans un jeu de course à Carthage. Et parce que nous sommes dans une démocratie, naissante, en lieu et place de la propagande à la soviétique que les Tunisiens ont dû subir longtemps, la communication politique dans ses premières gestations a fait ses entrées sur la scène. Les candidats ont essayé de se vendre, et vendre leurs programmes. A chacun son slogan, sa couleur, son positionnement et son catalogue de promesses. Tout est une question de style, et de stratégie de marketing. Un jargon nouveau qui rappelle un tout autre domaine, l'économie, et pour cause : « La communication politique emploie plusieurs formes dont le marketing politique, qui, lui, utilise des techniques du marketing commercial pour servir des objectifs politiques », définit d'emblée Dr Moëz Ben Messaoud. Un paysage nouveau dans lequel vingt-sept candidats en tout, ont occupé les médias et l'espace public. Et, comme il fallait choisir, parce que ce n'est pas une étude, nous avons choisi ceux qui nous ont semblé ressortir le plus dans les médias, les conversations et les réseaux sociaux. Ce choix se justifie également par des campagnes relativement originales, entreprises par Khalthoum Kannou, Béji Caid Essebsi, Moncef Marzouki, Slim Riahi et Hamma Hammami. Ce sont les éléments de notre échantillon, ils ne sont peut-être pas les seuls, mais pour des raisons évidentes, on ne pouvait traiter les 23 candidats restants en lice. Le style des uns et des autres Selon notre spécialiste, professeur à l'Institut de presse, Khalthoum Kannou a démarré une campagne honorable, avec « un slogan qui a fait mouche — Yes we Kannou — rappelant, sans effort, celui du président américain. Son travail de terrain est intéressant, elle a organisé avec son équipe une présence suivie sur les réseaux sociaux», analyse professeur Ben Messaoud. De notre côté, on remarquera que c'est une candidate lancée dans la course avec un atout majeur, celui d'être femme parmi vingt-six hommes, dans un pays où la question de la femme est une ligne de démarcation. C'est aussi une magistrate militante dure de tête qui a donné du fil à retordre à l'ancien régime. Mais pas seulement, Madame le juge s'est fait connaître du grand public ces trois dernières années, pour avoir défendu avec une ténacité indéfectible l'indépendance du pouvoir judiciaire. Côté marketing pur, la présidentiable s'est choisie comme couleur de campagne un jaune vif, une teinte originale, différente des rouge et bleu ambiants. Problème, Khalthoum Kannou envoyait vers la fin des signes d'essoufflement, avant que la course ne soit bouclée. C'est à peu près le cas de tous les candidats indépendants sans appareil derrière eux, donc en déficit de moyens humains, financiers et logistiques pour les soutenir jusqu'à la ligne d'arrivée. La candidate paraissait quelque peu fatiguée, lasse physiquement, tout en restant coriace au niveau du discours. Dommage, également, sa couleur emblème a été délaissée, alors que dans un souci de cohérence, un foulard jaune autour du cou, une broche, un quelconque accessoire au moment de ses visites sur le terrain ou passages sur les plateaux aurait fonctionné comme un clin d'œil et un identifiant fort. L'une des campagnes les plus abouties est celle de Béji Caïd Essebsi, selon l'universitaire interrogé à ce sujet, « le slogan — Fabihaithou (intraduisible) Tahya Tounes - Vive la Tunisie, est un trait de génie. Mais, pas de gros plans sur le portrait du candidat, dont l'âge peut déranger », ajoute l'universitaire, pour enchaîner : « Dans ses meetings espacés les uns des autres, il se donne le temps d'observer ses adversaires et d'écouter les critiques pour y répondre à chaque sortie. Il a réussi à accumuler à lui seul un capital confiance-sympathie ». Oui, Béji Caïd Essebsi, ce vieux briscard de la politique, n'a plus rien à apprendre, doit-on concéder. Connaissant parfaitement la nature humaine, les centres de pouvoir, les points forts et points faibles de tous ceux qui l'entourent, les motivations profondes de ses adversaires comme de ses amis, avec à son actif les défis nationaux relevés au lendemain de la révolution et un répertoire téléphonique à l'international, il est à l'aise, c'est perceptible. Seulement force est de remarquer qu'en plus de ses écarts de langage tout à fait inutiles, dans les meetings qu'il donne, il est submergé sur la scène par une foule compacte, ses proches collaborateurs, au point d'être à peine visible. Si on comparaissait avec les mises en scène des meetings politiques à l'étranger. Le leader est toujours seul sur un plateau immense, bien mis en évidence, avec les lumières appropriées. C'est seulement tout à la fin de sa prestation, et après la standing ovation que son équipe le rejoint. En démocratie, il faut savoir parler Et la campagne de Moncef Marzouki ? Que peut-on en dire ? « Elle s'est affirmée par un discours agressif, regrette notre interlocuteur. Le problème du candidat Marzouki, a-t-il renchéri, c'est d'être resté foncièrement droit-de-l'hommiste dans ses réflexes et son discours, alors qu'il est candidat à la présidentielle. Il n'a pas réussi à mettre la casquette de l'homme politique. S'il rappelle à chaque fois son profil de militant, il oublie que le décideur politique aujourd'hui a d'autres préoccupations, mis à part les droits de l'Homme. Je ne peux pas dire qu'il est mal conseillé, ajoute Dr Ben Messaoud, mais tout porte à croire que c'est une personnalité difficile à contrôler au niveau communication. Sa présence dans la foule est davantage marquée par une spontanéité associée à un certain débordement. Même chose pour ses équipes ou celles se présentant comme telles sur les réseaux sociaux, où l'on perçoit qu'elles ne sont soumises à aucun contrôle », conclut notre interlocuteur. Il est vrai qu'au travers de sa campagne, Marzouki donne l'impression de n'avoir rien retenu des critiques qui lui avaient été adressées tout au long de son mandat. Seulement, avec un bilan aussi décevant, et aucun espace politique propre, le candidat Marzouki s'est trouvé piégé. Il a chassé comme il a pu, donc, sur le terrain islamiste lorgnant le très adulé électorat d'Ennahdha et même en élargissant à droite auprès des franges salafistes, parallèlement il s'est introduit dans l'espace des courants contestataires de la gauche, rappelant ses origines modestes ; pour ensuite, faire des incursions chez les démocrates progressistes, dits laïcs, en convoquant sa vie de militant des droits de l'Homme. Seulement, avec ou contre sa volonté, des groupes au comportement violent se sont associés pour défendre ses couleurs, avec des dérives de langage particulièrement injurieuses. C'était bas de plafond, et c'est ce qui a été le plus souvent retenu. Quel serait votre avis sur la campagne de Slim Riahi ? Le spécialiste de la communication considère que ce n'est pas très recommandé de joindre deux mondes différents, le sport et la politique. «Etre président d'une fédération de foot et candidat à la présidentielle est quelque part dérangeant ». Mais encore, analyse-t-il, le candidat Riahi a fait une erreur de communication monumentale lors de son passage à la TV. Il s'est mis à dos une partie de l'électorat d'une partie du Sahel, ce n'est pas la seule erreur de communication. C'est un candidat qui a fait beaucoup de terrain mais ses meetings populaires sont très peu nombreux ». Slim Riahi a choisi la couleur bleu mâtinée de blanc, en se donnant l'image d'un jeune premier qui réussit tout ce qu'il entreprend. C'est une image forte qui a trouvé preneur auprès de l'électorat des jeunes. Problème, au niveau du discours, la faiblesse est patente. Or, en démocratie, en plus de toutes les capacités indispensables, il faut savoir convaincre. Pour réussir dans un régime démocratique, il faut savoir parler. Ailleurs, un duel à la TV, autrement appelé le grand oral, peut changer la donne du tout au tout. Les réseaux sociaux sont créatifs Et enfin, que peut-on dire de la campagne de Hamma Hammami ? « C'est l'une des campagnes les plus originales et réussies qui soient. Dans toutes les affiches, il y avait une hyperpersonnalisation des candidats, or sur une partie de ses affiches à lui, on a misé sur son nom : Hamma et la fonction qu'il occupera, président « Hamma, rais ». De plus, avec son profil d'opposant, il s'est positionné comme le leader légitime d'un parti, le Front populaire, qui a payé au prix du sang avec Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, pour en venir à revendiquer la magistrature suprême. D'un autre côté, on le voit avec l'allure d'un présidentiable », conclut à ce sujet professeur Ben Messaoud. Hamma Hammami a également joué sur la fibre sentimentale, en mettant au jour des qualités comme la générosité d'âme, la capacité de pardon. Il a déclaré qu'il a pardonné à ses bourreaux et tourné la page, il paraissait sincère. Mais encore, il s'est présenté sous le jour du compagnon fidèle et reconnaissant, de l'éternel amoureux de « Radhia », son épouse. Des points qui n'ont pas laissé l'électorat féminin indifférent. Hamma a aussi changé de look, des costumes de belles coupes, un teint net, et des cheveux gris et glam. Hier au moment de boucler ce papier, une campagne originale est lancée sur FB qui buzze beaucoup, c'est Hamma à la manière de George Clooney. C'est dire la transformation qui s'est opérée chez ce candidat de la gauche ! D'une manière générale, il est à remarquer que cette première campagne pèche par sa simplicité, selon le professeur. « La règle d'or de la reconnaissance visuelle » a été respectée, sans plus. Les numéros de classement des candidats sur le bulletin de vote censés guider l'électeur sont étouffés sur les posters, sinon aucune recherche ni mise en scène au niveau des affiches. « Sur les réseaux sociaux qui ne disposent pas des qualités requises et de moyens, les jeunes ont présenté un travail plus élaboré et plus créatif que celui entrepris par les agences ». Au final, si cette campagne a un mérite, il se situe en dehors de la forme, mais dans le fond. C'est d'avoir consacré le pluralisme et la liberté de choix, fondements constitutifs d'un régime démocratique. Mais, au lendemain de la proclamation des résultats, et au terme de cet épisode presque festif, des chantiers immenses attendent le gagnant. Et là, on ne joue plus.