Par Hamma HANACHI C'est un écrivain peu connu par le grand public, pourtant, il est l'un des plus grands écrivains actuels, prolifique, il est l'auteur de dizaines d'essais, de romans et de recueils de poésie. Juan Goytisolo vient d'être récompensé du Prix Cervantès, la plus haute distinction des lettres hispaniques. Le jury lui a décerné le Prix pour «sa capacité d'enquêter sur le langage, ses propositions complexes du point du vue du style et pour son pari permanent en faveur du dialogue interculturel». Notons qu'à l'heure où les députés français se réveillent en adoptant la proposition de résolution sur la reconnaissance de l'Etat de Palestine, rappelons que Goytisolo est, depuis des années, parrain du Tribunal Russel sur la Palestine. Né à Barcelone dans une famille de lettrés, deux frères, José Augustin, poète et Luis, romancier. Anti-franquiste, il s'engage tôt dans le parti communiste clandestin et émigre en France, il s'installe à Paris où il fréquente l'intelligentsia de gauche de Sartre, Beauvoir, Debord ou Barthes. Lecteur chez Gallimard, il acquiert très vite une notoriété de farouche écrivain opposant au régime espagnol, ce qui lui vaut une sale campagne de dénigrement et une interdiction de publication dans son pays et un vif enthousiasme de la part des intellectuels en France. Il fréquente assidûment Jean Genet pour lequel il porte une grande fascination et fait de fréquents voyages au Maroc où il finit de s'installer à Marrakech, beaucoup bien avant que celle-ci devienne une destination prisée par la gente béhachélienne et autres riches suiveurs. 1977, sur conseil d'un ami, on a lu Juan sans terre (éd. du seuil). Où l'on découvre une écriture radicale en rupture avec la langue officielle, où le «je» cède au «tu» et l'anti-héros prend une place importante et glorieuse «La liberté des parias te convient, tu ne reviendras pas en arrière». En effet, Goytisolo ne reviendra pas sur ses pas, il s'engage corps et âme dans la destruction du langage, il écrit Makhbara (cimetière), en 1980, où l'auteur décrit un Marrakech insolite, la place Jemaâ el Fna, comme rarement un écrivain l'a décrite, foules, costumes locaux, burnous, frottements de corps, dragues, homosexualité, le héros s'engouffre dans cette société de parias, de marginaux, il est étranger mais fait partie de leur secte. Souvenir. Une rencontre avec l'auteur à Paris en compagnie d'un autre réfugié, paria et entièrement engagé dans l'art moderne et la contre-culture, établi depuis les années 1960 en France, intégré dans la vie intellectuelle parisienne, Severo Sarduy, écrivain, poète, critique d'art et essayiste cubain de haute qualité, son thème récurrent, l'art baroque et l'androgynie il a écrit Cobra (éd. Seuil 1972) en référence au mouvement d'art éponyme (Copenhague, Bruxelles, Amsterdam) et qui se déroule entre l'Europe et le Maroc, Barocco (essai, 1974) sur l'art baroque. Longue discussion sur l'art moderne. Beaucoup plus tard, à Tunis, maison de la culture, invité par le penseur, islamologue, Hichem Djaït, devant un parterre d'étudiants en langue espagnole, Goytisolo gêné, élude des questions politiques, disserte sur la littérature espagnole moderne. Rencontre rapide, frustrante. En 2007, on apprend que le fumeux Prix Kadhafi des Droits de l'homme a été attribué à Goytisolo. Sans surprise, celui-ci l'a refusé, accompagnant son refus d'une lettre cinglante contre le régime dictatorial du Guide. Notons, au passage, que le dernier lauréat (2010) de ce prix est le Président turc Recep Erdogan. Toujours rebelle, «le métèque de partout», fidèle à sa conception de la résistance, de la marginalité, du nomadisme, l'écrivain sans terre, lauréat de nombreux prix, déclare à l'annonce de l'attribution du fameux Prix Cervantès «Quand on me donne un prix, je me mets à douter de moi-même. Et quand on me désigne persona non grata, je sais que j'ai raison». Avec ce prix, Goytisolo, qu'on gagnerait à mieux connaître, rejoint les géants de la littérature, les Borgès, Alvaro Mutis, Vargas Llosa, Octavio Paz...