Béjà, cette grande cité du Nord-Ouest, a été toujours généreuse. Elle a donné plus qu'elle n'a reçu. Depuis les Carthaginois, jusqu'à nos jours, elle est demeurée égale à elle-même. Ses multiples sites archéologiques attestent de sa splendeur ancienne. Grenier de Rome par les temps révolus, elle est celui du pays aujourd'hui. Ville agricole par vocation, elle est aussi celle de l'art et de la culture. Sa Médina, à elle seule, est toute une histoire avec sa Kasbah et ses ruelles fourmillant d'activités. Mais son présent est loin d'être celui qu'on lui doit ! Grande métropole du Nord-Ouest du pays, Béja est un vrai carrefour entre le Nord, le Sud et l'Ouest vers l'Algérie. Trônant sur une colline, elle domine les riches plaines environnantes, avec leur terre noire où on y cultive toutes sortes de céréales, légumes et légumineuses. De par son emplacement, elle ouvre sur la chaîne de l'Atlas tellien, la Kroumirie à l'ouest et le Mogood à l'est. Son site stratégique et les richesses que recèle son sol en ont fait une vraie métropole depuis les temps anciens. D'après les fouilles effectuées jusque-là, les historiens s'accordent à faire remonter l'ancienneté de la cité au VIe siècle au J.C. Vaga, tel était son nom à l'époque carthaginoise, mentionné par Silius Italius dans ses «Punicas». Elle a, depuis les temps anciens, fait l'objet des convoitises des conquérants et des occupants. Massinissa, qui avait occupé les riches plaines de la Medjerda et de Mellègue, l'annexa à son royaume de Numidie. En dépit de la guerre que menait Jughurta contre l'occupant, le consul romain y installa une forte garnison pour s'assurer de la position. Devenant romaine, Vaga connut un grand essor économique. Des ponts furent construits sur l'Oued de Béja pour permettre l'acheminement des céréales vers les ports avant de les exporter vers Rome. Des fouilles ont permis de découvrir deux arcs de triomphe dont celui de Bab Al Aïn. A cette époque, le christianisme devint la religion des habitants de la ville et des contrées voisines. Mais cette période de paix et de grande prospérité fut interrompue par l'invasion des Vandales qui saccagèrent la ville qui fut complètement rasée par Genseric. Et il a fallu attendre le VIe siècle (527) pour que Vaga renaisse de ses cendres avec l'avènement des Byzantins. Ils lui donnèrent le nom de Théodorus en honneur à l'épouse de Justinien alors au pouvoir. Richesses archéologiques De toutes les cités du Nord et du Nord-Ouest, Baja-A Gamh (la région du blé) ou encore Houri Ifrikya (grenier de l'Ifrikya), comme on l'appelait au Moyen Age, compte parmi les plus riches en vestiges et en sites archéologiques. Aux ponts romains, on peut ajouter un temple de Diane et une basilique sur la route de Aïn Draham construite par les Byzantins en 692. Mais faute de moyens et sans doute de volonté, d'autres fouilles n'ont pu être entreprises et qui auraient sans doute permis de mieux cerner le passé de cette cité dominée par sa grande Kasbah. Conquise par les Arabes, ils en firent une importante garnison sur la route de l'Ouest. Et c'est, semble-t-il, à cette époque, que l'ancienne Vaga devint Badja qui ne fut jamais épargnée par les invasions, telle celle de Abou Yazid Saheb Al Himar en 946, ou celle des Riahs de Banou Hilal qui s'installèrent dans les environs. Béja c'est aussi la culture et l'art de manière générale. Elle donna au pays plusieurs noms d'érudits et cadis. L'histoire des quatre premiers beys du pays fut écrite par Mohamed Sghir Ben Youssef, compagnon de Husseïn Ben Ali, fondateur de la dynastie husseïnite. Béja est la ville natale de feu Hédi Mokrani, de la chanteuse Zouheïra Salem, de Adnane Chaouachi et j'en oublie. Béjà a aussi un grand marabout, Sidi Ali Brahim Bouteffeha, dont la longue et rocambolesque légende ne peut être contée en quelques lignes. Une vraie métropole, cette Béja, grand marché de céréales et de bétail depuis Salluste, est restée fidèle à son histoire et sa générosité. Et c'est ainsi qu'elle est devenue une sorte de plaque tournante pour toute la région du Nord-Ouest du temps de la colonisation. Plaque tournante ! Les Français jetèrent leur dévolu sur la ville et ses plaines très riches qu'ils occupèrent pour y construire des fermes avec tous les bâtiments qu'il faut pour leurs habitations, leur bétail et le matériel agricole. La cité elle-même fut complètement transformée, gagnant sur ses environs avec de nouvelles constructions présentes encore avec leurs toits en tuile de Marseille juste après la voie ferrée desservant le Nord-Ouest jusqu'aux frontières algériennes. Contrairement aux autres villes de la région, Béja connaît pendant toute l'année une activité incessante. En été comme en hiver, on ne chôme pas dans cette ville où l'agriculture constitue l'élément moteur. La couleur est déjà annoncée depuis la route et dès que vous dépassez Oued Zarga. Des deux côtés du GP5, vous êtes subjugués par les champs de blé ondoyant sous la brise printanière, les étendues des plants de fèves et de petits pois. En été, la noria de moissonneuses batteuses sillonnant ces mêmes champs et les transports de céréales vers les centres de collecte vous donnent le ton sur ce qu'est l'activité à Béja, ville cernée de toutes parts par les champs de tournesol aux couleurs verte et jaune. Paysage de rêve qu'on ne retrouve nulle part ailleurs. Le centre-ville est une véritable fourmilière, grouillant d'activité et de monde. En s'engouffrant vers la vieille Médina, en empruntant Bab Znaïez, on découvre Béja dans sa variété et ses richesses. Que de fromageries, étalant leur récolte fraîche, leur fromage testouri aux grains de poivre noir ! Que de marchands de beignets vous proposant leurs douceurs qui font la renommée de Béja (les mkhareq) qu'on vient acheter de tous les coins du pays au mois de Ramadan. Ce mois donne à l'activité dans cette ville un coup de fouet tel qu'il devient impossible de pouvoir y circuler où trouver un endroit pour garer sa voiture. Bab Znaïez et les ruelles adjacentes sont le cœur battant de Béja, on y trouve de tout et à des prix défiant toute concurrence. La viande ovine et bovine moins chère que partout ailleurs. Les légumes frais, le poulet et l'œuf fermiers dont la ville est fournie quotidiennement par de petites exploitations familiales des environs. Le jour du marché (mardi), la ville se transforme en une ruche d'abeilles, avec les milliers de gens venus du voisinage et des quatre coins du pays et les centaines de véhicules qui déversent leurs produits sur le marché. C'est une véritable foire qui s'installe dès la veille pour donner à la ville une allure de grande fête où on y échange tout, des bêtes, jusqu'aux légumineuses, en passant par les fruits, la volaille, les céréales et les fourrages. Béja pour le visiteur, c'est la cité à voir pour sa grande richesse historique et pour sa Kasbah, cœur battant de la ville. Pour le passager, c'est le coin des meilleures affaires pour faire ses emplettes en toutes sortes de denrées, dont la dernière et qu'on retrouve à la sortie de la ville, l'ail, ce condiment dont on s'approvisionne pour l'année. Béja, la ville généreuse et dont les atouts ne se comptent pas, n'occupe malheureusement pas la place qui lui revient de droit. Elle connaît le sort qui est réservé à toutes les cités du Nord-Ouest, fait d'oubli et d'ingratitude. Béja demeure bonne pour donner, mais jamais pour recevoir! Saura-t-on un jour lui rendre justice, pour qu'elle rayonne encore plus et redevienne cette grande métropole dont l'histoire est là pour attester de sa grandeur et de sa splendeur passées?