Hamadi Jebali, Habib Ellouze, Sadok Chourou et Moncef Ben Salem font monter les enchères mais savent-ils qu'ils préparent le nid à l'implosion de leur parti ? La démission officielle de Hamadi Jebali et sa décision de quitter définitivement Ennahdha viennent ajouter de l'embrouille à la confusion qui règne au sein du parti nahdhaoui ces dernières semaines. Confusion due essentiellement aux tergiversations de la direction du parti quant à la prise d'une décision définitive à propos du choix du candidat à soutenir lors du second tour de l'élection présidentielle prévue dimanche prochain. En attendant, la grogne se poursuit au sein du parti de Montplaisir sous la conduite des responsables mécontents des choix et des orientations de la direction centrale accusée de faire perdurer le suspense pour savoir si ses tractations avec Nida Tounès vont réussir à assurer la participation d'Ennahdha au prochain gouvernement. La position attentiste d'Ennahdha qui n'est plus à prouver et les déclarations des membres du bureau exécutif proches de Ghannouchi et partisans de son approche participative ne font que renforcer les partisans de l'aile dure dans leur conviction «qu'ils ne se retrouvent plus dans les orientations du parti» comme l'a signalé Hamadi Jebali dans sa lettre de démission postée sur Internet et dans laquelle il révèle qu'un deal ou un marché est en train d'être conclu secrètement pour favoriser la victoire de Caïd Essebsi aux dépens «de la réalisation des objectifs de la révolution et des idéaux pour lesquels Ennahdha a consenti tant de sacrifices et a donné tant de victimes». Et il est presque certain que les tenants de la ligne dure ne croient plus en la possibilité de voir leurs thèses retenues au sein du Conseil de la choura qui a tenu une session exceptionnelle (samedi 13 et dimanche 14 décembre) puisque les chefs de file de la grogne, Sadok Chourou et Habib Ellouze, constituants sortants, ont appelé, samedi ouvertement les électeurs nahdhaouis à voter Marzouki sans attendre les consignes du Conseil de la choura. Moncef Ben Salem, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique sous les gouvernements Hamadi Jebali et Ali Laârayedh et l'un des opposants au dialogue avec Nida Tounès, fait circuler, pour sa part, une pétition dans laquelle il exige la tenue illico presto du congrès du parti qui a été reporté, et ce, pour que les choses soient clarifiées» et saute le pas en appelant «à expulser Rached Ghannouchi et Abdelfattah Mourou des rangs du parti» qu'il accuse d'avoir trahi les engagements d'Ennahdha. Dans la foulée de cette atmosphère, le moins qu'on puisse délétère, régnant au sein d'Ennahdha en dépit des tentatives de Zied Laâdhari, Ajmi Lourimi, Samir Dilou ou Lotfi Zitoun d'étouffer la colère montante au sein du parti en soutenant que «c'est un signe de démocratie interne et que le dernier mot revient aux structures de décision et que la discipline finira par triompher», Moncef Marzouki et les concepteurs de sa campagne électorale ont changé de discours et de pratiques à l'adresse des nahdhaouis. Ils s'adressent désormais directement aux bases d'Ennahdha et coordonnent sur le terrain, dans les régions, avec les responsables régionaux, mécontents de l'attentisme de la direction centrale. Certaines sources vont jusqu'à affirmer que Marzouki et Hamadi Jebali sont sur le point de former le fameux parti dont on attend la création à l'issue du second tour de la présidentielle, que Marzouki reste au palais de Carthage ou que Caïd Essebsi s'y installe pour les cinq prochaines années. A ceux qui pensent que Marzouki et Jebali ne peuvent jamais travailler ensemble en revenant à leurs anciens rapports conflictuels, en particulier lors de l'affaire Baghdadi Mahmoudi ou à l'occasion de l'appel de Jebali à la constitution d'un gouvernement de compétences à la suite de l'assassinat de Chokri Belaïd, on rétorque que «les divorces en politique ne sont jamais définitifs». Rien n'échappe à l'entropie Ennahdha est-il sur la voie de l'implosion comme les autres partis de la Troïka ou réussira-t-il à préserver son unité ? La Presse a posé cette question au sociologue Khalil Zammiti et au Pr Mohamed Haddad, président de l'Observatoire arabe des religions et des libertés. «Quand on parle d'Ennahdha, souligne Khalil Zammiti, on insiste toujours sur l'unité des rangs et sur la discipline mais on oublie qu'il existe aussi au sein de ce parti des conflits personnels et on oublie que les positions politiques ne sont pas durables. Quand on y ajoute l'entropie (usure du pouvoir), on va découvrir que beaucoup de choses ont changé au sein du parti nahdhaoui depuis qu'il a accédé au pouvoir. Il faudrait souligner aussi que la base régionaliste et tribale existe bel et bien au sein d'Ennahdha et on ne sait toujours pas comment ce phénomène y est géré politiquement. Les responsables d'Ennahdha ont réussi jusqu'ici à étouffer les tendances régionalistes et à montrer à l'opinion publique nationale et internationale l'image d'un parti qui rassemble ses militants et ses cadres d'où qu'ils viennent. Maintenant, la donne a changé puisque Marzouki menace sérieusement Ennahdha dans son statut de parti n°1 de l'opposition. Mais ceux qui le soutiennent doivent savoir qu'il est imprévisible et qu'il peut les lâcher à tout moment». Ghannouchi remettra les pendules à l'heure Pour le Pr Mohamed Haddad, président de l'Observatoire arabe des religions et des libertés, «il est impossible que Marzouki puisse récupérer les militants d'Ennahdha en colère contre la direction ou ses structures médianes qu'il est en train de courtiser à l'heure actuelle. La division qu'on constate maintenant au sein d'Ennahdha va se terminer une fois que le second tour de la présidentielle aura livré son verdict. Le parti va se ressaisir et Ghannouchi remettra les pendules à l'heure». Le Pr Haddad considère qu'Ennahdha est face à un autre défi et il est temps qu'il fasse «les grandes révisions que tout le monde attend et c'est au prochain congrès de trancher. Ennahdha doit clarifier ses positions et choisir entre le statut de parti politique civil ou mouvement de prédication. Quant à Chourou et Ellouze, il faut bien qu'on clarifie leur positionnement au sein d'Ennahdha». Marzouki ira-t-il jusqu'à rassembler les mécontents d'Ennahdha et créer avec les autres tendances qui le soutiennent «le Front national tunisien» ? «Marzouki n'a jamais été un homme de parti. Même le CPR a été créé tout juste en prévision des élections du 23 octobre 2011 puis il a éclaté en plusieurs factions. Pour Marzouki, le 21 décembre, ça passe ou ça casse», conclut le Pr Haddad.