Testour est l'une des plus anciennes villes de Tunisie, profondément marquée par les empreintes indélébiles de son passé andalou et de ses racines romaines. Elle fut construite au début du XVIIe siècle sur les vestiges de l'ancienne ville romaine «Tichilla». Testour, par exemple, dans l'esprit de tout Tunisien, est synonyme d'Andalousie en terre africaine. Ce patrimoine subit malheureusement une érosion! Mais heureusement cette érosion ne s'est pas effectuée sans provoquer des réactions de la part des amoureux du patrimoine andalou de Testour et particulièrement de l'horloge en haut du minaret de la grande mosquée de Testour ! Faisant partie des amoureux de la civilisation andalouse, je me suis mis à «repêcher» ne serait-ce qu'une partie de notre héritage des Andalous de Tunisie à Testour. Lorsque j'ai eu l'occasion de visiter Testour et de me reposer au café de la grande place, juste en face de la grande mosquée construite par les Andalous; les immigrés morisques andalous chassés d'Espagne en 1609 y ont trouvé refuge et ont été bien accueillis par les autorités de l'époque, Othmane Day. Je remarquais une particularité surprenante, sinon rare de la même époque, une horloge «bizarre», pas comme les autres, dont le cadran était subtilement incrusté dans la partie supérieure octogonale du minaret. Les chiffres incrustés sont disposés dans le sens inverse, ce qui prédit que les aiguilles tournaient à l'envers! Le minaret est splendide, bien décoré et extrêmement beau. Ce minaret est unique en son genre et ce qui le rend encore plus unique (si j'ose dire) c'est son horloge au sens anti-horaire! Une horloge qui a perdu ses aiguilles en bois paraît-il (selon les doyens de la ville), c'est une horloge qui a perdu le plus important de son âme. Certains Tunisiens et même des Testouriens, ne voyant pas tourner les aiguilles, ne se sont même pas rendu compte que les chiffres sont disposés dans le sens contraire! Cette horloge andalouse en panne, et démunie de ses aiguilles, ne fonctionne plus depuis des siècles. Elle est dans un état comateux et abandonnée à son sort sous le regard des Testouriens et des visiteurs de la ville andalouse par excellence. Au cours de la décennie écoulée, une vaste opération a été entreprise dans le cadre de la coopération bilatérale avec l'Espagne et l'Institut du Patrimoine pour restaurer et réaménager les principaux monuments historiques de la ville, dont l'emblématique Grande Mosquée, mais pas l'horloge qui tourne dans le sens anti-horaire ! Remettre les pendules à l'heure ! L'état de la fameuse horloge installée sur l'un des côtés de l'octogone du minaret de la Grande Mosquée de Testour, est l'une des manifestations du laxisme sous lequel le patrimoine historique de la ville a été régi tant par les instances locales que par les services concernés par le patrimoine. Il est connu que cette belle mosquée avec son magnifique minaret, classé monument historique, a été bâtie en 1630 par Mohamed Thagharinou (réfugié morisque) au XVIIe siècle avec des architectes andalous qui l'ont dotée d'un double système de lecture de l'heure : une horloge solaire (construite par Ahmed El Harrane en 1761) et une grande horloge mécanique, d'un diamètre de plus d'un mètre, installées en haut du minaret et qui a cette caractéristique d'indiquer l'heure «à l'envers», c'est-à-dire que ses aiguilles tournaient dans le sens contraire à celui de nos montres (ce qui paraît universel et qui souligne donc avec d'autant plus de netteté l'originalité de cet instrument). Seulement voilà, depuis belle lurette, cette horloge a perdu ses aiguilles. Etant l'un des descendants d'une famille andalouse et très loin parent du Grand Condé d'Espagne, mon premier arrière-grand-père Ali El Koundi (1600-1708) s'est réfugié à Testour, fut le premier imam de la grande mosquée et ses innombrables manuscrits sont jalousement conservés à la bibliothèque nationale à Tunis. Une rue au bas du fameux minaret de la grande mosquée de Testour porte d'ailleurs son nom. Etant ingénieur de formation, on m'a appris à ne pas abandonner une machine en panne! J'ai voulu alors relever le défi de «remettre les pendules à l'heure». Cette horloge dans un coma profond depuis 3 siècles m'a poussé à étudier la question sous tous ses aspects, techniques, institutionnels mais aussi pécuniaires. J'ai entrepris des recherches dans le monde pour trouver des horloges similaires tournant dans le sens anti-horaire comme celle des Andalous à Testour. Ainsi j'ai entrepris des investigations dans le monde pour trouver des spécialistes capables de fournir une horloge qui tourne dans le sens inverse. Des pourparlers ont été engagés pour finalement aboutir à garder les spécificités et remplacer cette horloge andalouse pour lui redonner la vie, après trois siècles de repos! Afin de sensibiliser le public, j'ai rédigé le 7/7/2013 un article dans ce même journal pour plaider la remise en état de l'horloge de Testour. J'ai sollicité déjà l'ex-ministre de la Culture, son assistance au moins morale pour réveiller cette horloge. Ainsi l'actuel ministre de la Culture, Mourad Sakli, lors de sa visite à Testour le 15/4/2014 pour le lancement du mois du patrimoine, a accueilli cette initiative avec beaucoup d'enthousiasme ! J'ai entrepris une étude détaillée quant aux caractéristiques de cette horloge très drôle ! Plusieurs offres et devis me sont parvenus avec des particularités et spécifications techniques bien précises. Les coûts sont aussi arrêtés à presque 9.000 DT. Je me suis mis ensuite en quête d'un pourvoyeur de fonds pour financer cette opération. Mon premier interlocuteur était évidemment l'Association de sauvegarde de la Médina de Testour et la municipalité de Testour. Toujours est-il qu'il a fallu aussi attendre longtemps pour obtenir l'accord de l'Institut national du Patrimoine (INP) pour que le projet de réhabilitation de l'horloge soit réalisé dans la légalité et dans les règles de l'art sans apporter aucune modification à ce monument historique classé. Un exemple d'une action participative du citoyen La remise en marche de l'horloge de Testour constitue une première action de valorisation du patrimoine local impliquant la population. La municipalité de Testour s'est jointe à ce projet, des journées de collecte ont été organisées. Les citoyens ont répondu massivement et le fonds nécessaire a été collecté. Ceux qui ne se sont pas déplacés pour être présents aux journées de collecte ont pu contribuer en versant leurs dons dans le compte courant spécial de l'Association de Sauvegarde de la Médina de Testour. Ainsi est né ce projet participatif de la restauration de l'admirable horloge andalouse du haut du magnifique minaret de la grande mosquée de Testour. Travaux de réhabilitation de l'horloge Le montant prévu étant collecté, la commande a été passée à une entreprise tunisienne à Tunis. Les travaux de conception et de réalisation d'une horloge sur mesure avec des aiguilles adaptées au cadran existant sur la tour octogonale supérieure du minaret ont été entrepris. Après un sommeil de trois siècles, l'horloge andalouse s'est réveillée à Testour. Elle n'a plus trouvé les Deys, ni les Beys, ni Bourguiba, ni Ben Ali. Elle me rappelle l'histoire de «Ahlou al kahf» qui ont dormi aussi trois siècles durant. Et c'est par miracle qu'ils se sont réveillés ! Un impact culturel et touristique ? Certains citoyens tunisiens ne savaient pas que les aiguilles tournaient dans le sens contraire habituel. De ce fait, ils ne donnaient pas beaucoup d'importance à ce bijou andalou. Mais pourquoi les aiguilles tournent-elles dans le sens anti-horaire? Plusieurs explications ou suppositions sont avancées. Parmi elles, certaines trouvent leurs origines dans les sentiments, d'autres une explication scientifique ou encore une réponse logique. Peu importe la réponse exacte à ce mode de rotation si étrange. L'inauguration, le samedi 20 décembre 2014, apportera certainement les éléments de réponse à cette question intrigante ! A vrai dire, c'est une belle opération témoignant d'une initiative d'un citoyen, suivie de la participation spontanée, massive et volontaire des citoyens pour la protection de leur patrimoine culturel! Le citoyen tunisien a été à la hauteur de sa reconnaissance envers la civilisation andalouse.