La ville n'a pas perdu le charme de ses traits authentiques. Pourtant, de nombreux monuments sont en ruine. Et d'anciens métiers menacent de disparaître... Le ministre, venu inaugurer le mois du patrimoine, évoque les grandes lignes d'une stratégie... La ville de Testour a accueilli, vendredi dernier, la cérémonie d'ouverture du mois du patrimoine, qui s'étend du 18 avril au 18 mai à travers toute la Tunisie. «Savoirs traditionnels» : tel est le thème de cette année, où il s'agit de valoriser le patrimoine matériel et immatériel et de le sauvegarder. «Les éléments identitaires évoluent mais nous nous devons de mettre en place une stratégie continue, en plus de l'événementiel», a déclaré le ministre de la culture, Mourad Sakli, lors de la cérémonie. Le ministre a annoncé une série de mesures en faveur du patrimoine, comme le fait d'établir un inventaire de tous les savoirs traditionnels nationaux et de les enregistrer auprès des institutions internationales de propriété intellectuelle, avec des bases de données. «Certains de ces savoirs risquent de se perdre et de disparaître», a-t-il encore expliqué. Il a dans ce sens annoncé que la stratégie allait inclure un volet «valorisation et sauvegarde» des savoirs menacés, en les réintégrant dans le circuit économique, afin de permettre à leurs tenants d'en vivre, mais aussi en leur donnant l'occasion de transmettre ces savoirs aux jeunes. «La stratégie sera collaborative, appliquée avec la participation du ministère du Tourisme, du ministère de l'Industrie et de la société civile», a ajouté le ministre. Testour : ville accueillante au charme authentique La ville de Testour a accueilli les morisques, qui ont migré en masse au début du XVIIe siècle, suite à la décision d'expulsion prise par Philippe III d'Espagne. Ils ont empreint le lieu de leurs traditions et imposé leur style architectural. La ville a été choisie pour son importance et ses spécificités culturelles qu'elle a su préserver. C'est ce qu'a expliqué Mourad Sakli pendant la cérémonie, avant que Rachid Soussi, président de l'Association de sauvegarde de la Médina de Testour, ne souhaite la bienvenue aux invités et ne leur parle de la fête de fin d'année du calendrier julien (ajmi), célébrée par les familles de la ville avec des mets traditionnels comme la mloukhiya, le pain et les fruits locaux, notamment les grenades qu'ils ont appris à conserver toute l'année. Un film de neuf minutes a été projeté pour plus d'explications. Les plus vieux y racontent que c'est un calendrier agraire qui marque l'entrée des «liali essoud» et la sortie des «liali el bidh». Les plus jeunes ne savent plus pourquoi cette fête existe : ils l'associent aux délices partagés en famille ou entre voisins. Indice que la ville de Testour n'échappe pas à une modernisation qui rime avec amnésie. De nombreux monuments de la ville sont en ruine. Même si elle n'a pas perdu le charme de ses traits authentiques, sur les visages des habitants comme dans l'architecture des habitations, entretenir ce legs précieux semble contraignant. Un tour dans la ville permet de s'en rendre compte. La grande mosquée, près de la place centrale de Testour, est en restauration. Les moyens manquent pour la remettre en état. Son minaret est muni d'une horloge unique dont les aiguilles tournent à l'envers mais... qui manque d'aiguilles ! Dans le patio de la mosquée, une horloge à ombre a aussi besoin d'un délicat travail de conservation. De l'autre côté de la rue, l'espace «Café el Andalous», où se tenaient d'habitude les soirées du festival de malouf, a perdu de son éclat ces dernières années : il est fermé en attendant sa restauration. A quelques mètres de là, pourtant, l'allée principale de la médina offre une vue plaisante avec ses commerces à l'âme inchangée. Les façades ont été refaites à l'authentique grâce à l'œuvre du mouvement citoyen Kolna Tounes. Membre de ce mouvement, l'artiste Lassaad Ben Abdallah nous explique qu'ils ont également soutenu le dernier artisan à fabriquer des tuiles à l'ancienne, et lui ont permis d'avoir deux apprentis qui assurent la continuité de ce savoir traditionnel. La disparition des métiers anciens rend difficile la restauration. Le mausolée de Sidi Nasr Guerouachi, monument érigé au XVIIIe siècle et classé depuis 1915, en est témoin. «Les matériaux nécessaires pour sa restauration sont rares et coûteux», explique la responsable du projet au ministre. L'opération est retardée et le mausolée, qui abrite la tombe du saint et des membres de sa famille, est dans un état déplorable. Il s'agit pourtant d'une belle demeure, avec des ornementations et une magnifique coupole, sous laquelle les enseignements coraniques ont été donnés pendant longtemps. Les descendants du saint, qui ne possèdent plus le mausolée depuis sa nationalisation, sont venus demander à ce que les travaux aillent plus vite. Entre le passé et le présent La jeune génération n'a pas abandonné la bataille. La maison de la culture Ibrahim Riahi, sise dans la maison qui fut celle de la chanteuse Hbiba Msika (1903-1930), est l'une des escales de la visite organisée dans la ville. Elle a accueilli une exposition de posters retraçant l'histoire de la ville, intitulée « Lumières sur le patrimoine andalou en Tunisie »... Mais il y a aussi une exposition d'artisans locaux ! Appliquée sur son métier à tisser, Emna explique que son travail, qu'elle réalise chez elle, lui rapporte un bon revenu, mais qu'elle aimerait voir apparaître des salons de vente à Tesour. A côté d'elle, des brodeurs et, plus loin, un calligraphe qui attire la curiosité des visiteurs et des photographes. Anouar Trabelsi enseigne aux enfants du club de la maison de la culture. Son rêve est de pouvoir, un jour, se consacrer pleinement à son art. En attendant, il copie d'anciens livres de fikh... Hela est diplômée de l'Institut des beaux arts de Tunis. Elle forme un groupe de tous les âges à la céramique et à la sculpture. Une discipline qui passionne les gens, dit-elle, mais le club ne possède pas de four pour achever les pièces réalisées. «Beaucoup de gens sont ainsi découragés de voir leurs œuvres inachevées et abandonnent», déplore-t-elle. La même ambiance festive régnait dans la Maison de jeunes, où d'autres artisans étaient venus montrer leurs travaux. La jeune troupe du malouf du lycée de la ville fait la fierté de tous. Un habitant nous explique que la troupe a gagné de nombreux prix dans des compétitions entres les régions. Mais Testour est aussi connue, entre autres, pour la distillation traditionnelle des eaux de géranium, à l'honneur dans cette exposition. La dernière étape de la visite de la ville a été celle du site archéologique de « Ain Tounga ». Ce site situé à une dizaine de kilomètres de Testour, non loin du site de Dougga, abrite les vestiges de la cité antique de Thignica. Totalement abandonné, ses monuments ne cessent de se détériorer. «Cette mosaïque était comme neuve quand j'étais enfant», se rappelle un Testourien quadragénaire à la vue d'une mosaïque dont on ne distingue plus les couleurs et les dessins. La visite du ministre permettra peut-être d'attirer l'attention sur ce site et sur toute la zone qui, paraît-il, regorge de monuments enterrés. La ville de Testour, belle et fière, tout comme les villes bâties par les morisques après leur arrivée en Tunisie, domine une colline près du fleuve de la Medjerda. Pour ses prochains visiteurs, elle sera sans doute aussi accueillante. Espérons qu'elle sera aussi dans un meilleur état.